Henri_Brisson_jeunesse - Roland Narboux - Bourges Encyclopédie

L'ENCYCLOPEDIE DE BOURGES
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HENRI BRISSON A BOURGES
Par Roland NARBOUX

Bourges et la première biographie sur Henri Brisson, avec dans cet article, le premier chapitre sur son enfance et son adolescence. Retour Henri Brisson

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Version 2012

 

CHAPITRE 3 : 1882 -1890

Président du Conseil en 1885

Les querelles familiales berruyères

Le caractère d'Henri Brisson

 

Cette décennie, 1880 - 1890 marque la fin de la monarchie en France comme recours, par rapport à la République. C'est à partir de ces années qu'Henri Brisson devient un des deux ou trois personnages clés de la République, laquelle va s'implanter durablement.
En quelques mois, Henri Brisson, qui est toujours député, accède à la Présidence de la Chambre des députés, et il participe à l'élaboration des grandes lois de la République.
Il a la stature de l'homme d'Etat, mais dans un régime qui est très difficile politiquement parlant, et face aux électeurs, il gagne souvent .... mais il perd aussi.
Il perd le Conseil général du Cher, mais gagne l'élection comme député du Cher, devenant aussi Président du Conseil de la France, c'est à dire Premier ministre.
Un homme qui fait front, face au Boulangisme, une crise de plus, celle de la recherche de l'homme providentiel, comme lors de l'Affaire de Panama où il se révèle ferme sur ses principes.

Président du Conseil en 1885

Ce n'est pas un poste qui le passionnait, il ira même à reculons, ce qui est rare dans le milieu politique, hier comme aujourd'hui.
D'ailleurs il n'avait jamais voulu être ministre malgré la demande insistante à plusieurs reprises de ses amis qui lui demandèrent selon les voeux du Président de la République constituer un cabinet.
Brisson avait de l'ambition, mais pas celle-ci !
Il occupa les fonctions de Président du Conseil des ministres à deux reprises à 13 années d'intervalle.

Du 6 avril 1885 au 29 décembre 1885, Henri Brisson forme un cabinet de concentration républicaine, en y faisant rentrer quelques radicaux.
Cette présidence du Conseil pour laquelle on le désigna plus d'une fois, entre autres lors de la chute du ministère Freycinet (29 juillet 1882). M. Grévy lui ayant fait des offres formelles, M. Brisson se déroba alors en alléguant son incompétence en matière de politique extérieure.

Ce ne fut qu'après le renversement du cabinet Jules Ferry (31 mars 1885) lequel se retrouva en minorité à la suite de la " défaite " de Lang Song qui fut très médiatisée comme l'on ne le disait pas à l'époque.
Après les tentatives infructueuses de M. de Freycinet pour constituer un ministère, Henri Brisson accepta enfin la mission de composer un cabinet : il y prit, avec la présidence du conseil, le portefeuille de la Justice, et entra en fonctions le 6 avril.

Arrivant au pouvoir pour la première fois, vierge d'échecs comme de succès, il ne rencontra d'abord dans les divers groupes de gauche aucune hostilité systématique, et la majorité des Chambres lui accorda aisément, jusqu'à l'époque des élections générales, le crédit qu'il lui avait demandé. M. Brisson, qui avait pris pour mot d'ordre la concentration républicaine, recommanda, par une circulaire publique, à tous les fonctionnaires sous ses ordres, de garder, lors des élections prochaines, une entière neutralité. Toutefois ses adversaires politiques lui reprochèrent d'avoir mis en oeuvre pour le succès de la liste dite " opportuniste " du Cher, sur laquelle il figurait en même temps que sur diverses listes dans la Seine, toutes les influences dont pouvait alors disposer le Président du conseil. Ce succès ne fut obtenu d'ailleurs qu'après ballottage, et grâce au désistement des autres candidats républicains.
Suite aux premiers soubresauts du scandale de Panama, les élections législatives d'octobre 1885 montrent une poussée des conservateurs, mais la gauche républicaine se regroupe au second tour et sauve sa majorité. L'extrême gauche (radicaux et une dizaine de socialistes) se renforcent.
Sur le plan extérieur, Brisson poursuit la politique coloniale et entame un rapprochement avec la Russie.

Le gouvernement Brisson comprend 6 avocats, 3 ingénieurs, un général et un amiral. Ils sont 7 députés et 3 sénateurs, le contre-amiral, seul, n'est pas parlementaire.

Ainsi, cet enfant de Bourges devient le Chef du gouvernement, et les journaux s'en donnent à coeur joie.
Tout d'abord, Henri Brisson accepte, bien qu'il aspire semble-t-il à devenir Président de la République, un poste plus prestigieux mais qui ne gouverne pas, alors que le Président du Conseil prend tous les coups.
Le journal l'Union Républicaine de Ferry écrit que " Henri Brisson a une politique à lui, profiter des circonstances, mais ne jamais prendre la direction des affaires qui entraîne avec elle la responsabilité ".
A cette époque, Jules Ferry est très impopulaire ! Il est franc-maçon depuis une dizaine d'années, et il fut de tous les gouvernements de 1879 à 1885. Mais si au XX ième et XXI ième siècle, il apparaît comme l'homme de l'école et du développement de l'enseignement, il est, en 1885, celui qui assure les conquêtes coloniales. et ce sont ces dernières qui entraîneront sa chute, à deux reprises : en 1881 pour les révoltes en Tunisie et en 1885 pour l'incident de Lang-Son au Tonkin. Ce sera successivement, le " Ferry famine ", le " Ferry le Tonkinois " et même le " Ferry-Néron " pour son action sur la laïcisation du pays.

C'est dans ce cadre qu'Henri Brisson prend la succession difficile de Ferry il devient celui qui peut encore calmer le pays tout en restant fidèle à ses principes républicains. Effectivement la majorité républicaine va le soutenir de manière très " patriotique ".

Dans son premier discours du 7 avril 1885, à la tribune Henri Brisson parle d'un gouvernement de conciliation et d'union, il parle de politique étrangère avec ces mots " nous demanderons à la Chine le respect de nos droits, tel qu'il résulte des traités comme celui du 11 mai 1884, ...heureux si les négociations suffisent pour atteindre ce but, , mais résolu à le poursuivre par les armes ".
C'est aussi la revendication des droits de la France au Tonkin.

Puis après un mot sur l'Europe avec une " politique attentive et circonspecte ", il en vient aux problèmes intérieurs.
Ce sera l'examen des lois urgentes, on n'utilisait pas le mot " réformes ", et sur le budget. Il poursuit en évoquant les prochaines élections législatives qui se dérouleront dans moins de 6 mois, " la parole sera bientôt donnée au peuple ".
" Nous ne regarderons que le drapeau, nous ne voulons servir à l'intérieur que la souveraineté nationale ".
Ainsi parlait cet homme de gauche avec la notion de concentration des forces républicaines.

Le journal du Cher qui est bonapartiste et n'aime pas H. Brisson prédit " Avant deux mois, peut-être avant, le ministère Brisson sera renversé s'il ne donne pas à l'intrigue Ferryste toutes les satisfactions qu'elle va demander. Et le cabinet Brisson tombé, c'est la dissolution immédiate, c'est à dire des élections en juin ".
Cela ne se passera pas ainsi.
Le journal est très politique, il écrit " nos lecteurs n'attendent pas de nous un portrait du président du conseil. Ils savent depuis longtemps ce que nous pensons de lui... si nous ne le connaissions moins, nous pourrions nous réjouir, nous ses compatriotes de la voir accéder à ce poste ".
Et le journal d'ajouter que M Henri Brisson était en cause dans une élection précédente, aussi " cela ne nous inspire qu'une confiance très limitée dans l'exécution loyale des prochaines élections législatives ".

Par contre le journal La Démocratie et la Nièvre républicaine sont pour H Brisson et l'écrivent : " Il a montré combien il est digne de la confiance dont le pays est prêt à lui témoigner ".
A cette époque il y a encore un parti royaliste avec son journal Le Messager qui écrit :
" Il faudrait céder à un singulier parti-pris pour ne pas le distinguer dans la masse qui l'entoure... Comparé à toutes les sommités d'alentour, M Brisson fait l'effet d'un aigle parmi les passereaux ". Et il termine ainsi, " il n'est grand que parmi les petits ".

Le 29 décembre 1885, Henri Brisson est battu à l'élection présidentielle par le président sortant et il remet la démission du Gouvernement au président de la République réélu, Jules Grévy. Ce dernier le 7 janvier 1886 nomme Charles de Freycinet à la présidence du Conseil des ministres.

 

La politique d'Henri Brisson

En 1885, alors qu'il est Président du conseil, Henri Brisson qui est républicain défend notre présence dans les colonies, ainsi il proteste contre la politique d'abandon préconisée par Clémenceau. Il souligne que si on abandonne, cela rendrait inutile l'héroïsme de nos soldats et de nos marins.
Il veut conserver ce qu'il appelle le patrimoine national et écarter toute entreprise nouvelle.
Sur l'armée, il a ses mots :

" ... Cette armée, nous l'avons. Elle est l'orgueil de la France, elle porte, elle est prête à porter de la façon la plus digne ce drapeau national, ce drapeau tricolore, en face duquel vous êtes tous bien résolus.
Cette armée, une loi, en partie votée, la transforme en ménageant le plus possible les populations pour lesquelles le service militaire est l'impôt le plus sacré sans doute, mais aussi le plus lourd au point de vue de la production nationale, et par la suppression du volontariat, elle doit être complétée par la constitution d'une armée coloniale, où sans doute les éléments indigènes entreront de plus en plus, de façon à nous former en cas de besoins, des réserves considérables. "

Pour la politique coloniale, Brisson est proche des hommes politiques de cette époque :
Sur Madagascar, et l'expédition, " notre ministère est éloigné de toute pensée de faiblesse et de toutes visées ambitieuses
Il parle l'héroïsme des soldats et des marins :
" nous sommes donc également résolus à écarter toute entreprise nouvelle et à conserver le patrimoine national qui nous a été transmis. "
Et il souligne qu'il faut que ces possessions nouvelles soient le moins coûteuses possibles et les plus profitables à ses industriels et à ses industriels.

Quant au Tonkin, la paix avec la Chine a fait disparaître la plus grosse et la plus coûteuse des difficultés de cette expédition.
" C'est à nous maintenant de multiplier avec l'Empire du Milieu les relations de bon voisinage ".

L'école restera comme souvent chez ces personnages de la troisième République, un point essentiel.
Henri Brisson parle de l'instruction professionnelle qui est irrésistible, " la République est entrée largement dans cette voie, par l'institution des écoles d'apprentissage, mais encore par la création de ces écoles modèles qui associent le travail manuel au travail intellectuel, depuis l'enfance jusque à la sortie de l'adolescence ? Ces écoles ont été crées à Voiron, à Vierzon, à Armentières et dans plusieurs autres lieux. "

 

Dans cette période de 1885, Henri Brisson dans ses discours et ses écrits est souvent synthétique et se pose la question : " Que veut-elle cette démocratie ? "
Et il répond à Paris le 8 septembre 1885 dans ce discours dit " de la salle des Vendanges de Bourgogne " :
" (La France) veut un Etat laïque, librement organisé.
Elle réclame une répartition égale et de l'impôt du sang et des autres contributions.
Elle demande qu'à l'école chaque enfant trouve les moyens d'améliorer un jour, par un travail mieux compris, mieux ordonné, sa situation et sa valeur personnelle.
Elle désire que des institutions de toute sorte assurent la sécurité des travailleurs contre les fatalités qui les menacent.
Elle veut maintenir les garanties dues aux richesses créées par le travail et l'épargne des générations précédentes, et favoriser, dans toutes les directions, le laborieux effort des générations nouvelles ".

Après un débat de quatre jours en décembre 1885 dans lequel le président au Conseil intervint personnellement , en première ligne, les crédits supplémentaires ne furent votés qu'à une majorité de quatre voix (274 contre 270). Encore cette majorité se trouva-t-elle réduite et peut-être même annulée par diverses rectifications au procès-verbal.

Au cours de sa présence comme Président du Conseil, c'est la mort de Victor Hugo et des funérailles nationales sont organisée. Le gouvernement Brisson prend a cette occasion le 26 mai 1885 un décret qui stipule que le Panthéon est rendu à sa disposition primitive, et qu'il n'est plus une église ... effaçant le nom de Sainte Geneviève. Les restes des grands hommes qui ont mérité la reconnaissance nationale y seront déposés.
Il en parlera dans ses récits de souvenirs :

" Notre devoir demeure celui de défendre énergiquement les droits de la société civile ; tenir les ministres du culte écartés de l'école et de la politique. On ne soupçonnera pas de faillir à ce devoir le gouvernement qui a rendu le Panthéon à sa destination laïque. "
Et il raconte qu'il ne l'a pas fait voter par les Députés, mais que c'est lui et son cabinet qui ont décidé cette restitution,
" ... j'ai pensé que c'était dans le pouvoir du gouvernement de décréter cette restitution, il a immédiatement pris sa résolution, il l'a exécuté sous sa responsabilité ".

En 1885, il se présente aux élections législatives, au scrutin de liste et il est élu député du Cher mais aussi député de Paris, et il ne va pas choisir Paris. Henri Brisson est donc élu député du Cher de 1885 à 1889, alors qu'il est Président du Conseil, et devient un des grands personnages de la France, il va au combat électoral et revient " au bercail ", quittant la Seine pour un retour en Berry.
Député du Cher jusqu'en 1889, à partir de cette date, il n'a plus de mandat électif dans le Cher.
Il s'agit d'un scrutin de listes, assez complexe, et pour le département du Cher, il y a 4 listes.
- la première avec le marquis de Vogüe, le prince d'Arenberg, M de Montsaulnin, M Boinvillers ..
- la liste d'Henri Brisson qui est alors Président du Conseil, avec Pernolet, Pajot, Lesage ...
- La liste Félix Pyat avec Edouard Vaillant, Maret, Cougny, Baudin
- la liste des républicains modérés emmenés par Eugène Brisson, maire de Bourges.
Il y a donc une liste des conservateurs avec de Vogüe et d'Arenberg, une liste d'extrême gauche avec Félix Pyat et Edouard Vaillant, une liste radicale avec Henri Brisson

Et surprise il y a une quatrième liste avec le maire de Bourges qui vient d'être réélu l'année précédente et qui est le cousin d'Henri, Eugène Brisson.
C'est semble-t-il une liste de Républicains modérés. Les cousins sont donc bien concurrents, et comme le père Brisson a pris le parti du cousin contre son propre fils, les dîners de familles à Bourges, s'il y en a encore doivent être intéressants....

Les élections législatives vont se dérouler en effet en France les 4 et 18 octobre 1885, chacun pense que les conservateurs vont l'emporter, c'est ce qui va se passer au premier tour. le second tour sera décisif bien entendu car rien n'est joué.
La campagne électorale est terrible car c'est une lutte entre les Républicains et ceux qui veulent revenir à un autre régime, la Monarchie ou l'Empire. La coalition conservatrice avec M P. de Cassagnac qui a déclaré " Renversons d'abord la république, nous nous battrons après ".
Et pendant cette campagne, parmi les thèmes sont évoqués, on trouve la crise économique ... et aussi la crise étrangère avec les conflits en Chine et au Tonkin.

Toutefois ses adversaires politiques lui reprochèrent d'avoir mis en oeuvre pour le succès de la liste opportuniste du Cher, sur laquelle il figurait en même temps que sur diverses listes dans la Seine, toutes les influences dont pouvait alors disposer le Président du conseil.

Ce succès ne fut obtenu d'ailleurs qu'après ballottage, et grâce au désistement des autres candidats républicains. Au premier tour, la liste conservatrice arriva en tête, avec plus de 30 000 voix; la liste de MM. Henri Brisson, Pernolet, Lesage, Mellot, etc., en obtint 22,000, tandis que la liste républicaine socialiste en réunissait 18 000; celle-ci se retira pour éviter le succès définitif des conservateurs, et M. Henri Brisson fut élu. Nommé, en même temps, dans le département de la Seine, au premier tour, par 215,853 voix, il opta pour le Cher.

Il faut dire que le Comité radical du 10 ième arrondissement de Paris le 2 septembre 1884 vota un blâme envers Henri Brisson qui était député de cet arrondissement, à cause semble-t-il de problèmes " de révision et de suffrage universel ", aussi beaucoup pensent que même avec le scrutin de liste, pour beaucoup, Henri Brisson a peu de chance d'être élu à Paris et en conséquent, il cherche une autre circonscription. On pense alors au Loir-et-Cher.

En détaillant le scrutin, on note qu'au premier tour le 4 octobre 1885, sur le département, Henri Brisson aura 22 469 voix et son cousin pourtant maire de Bourges 9204. Par contre, sur la ville de Bourges, ce sera l'inverse, puisque Henri aura 1026 voix et le maire 2499, ce qui montre que Eugène a toujours la confiance des Berruyers, mais que Henri, d'une part n'est pas très populaire dans sa ville natale et qu'il gagne très largement dans le reste du département.

 

Au second tour, dit scrutin de ballottage du 18 octobre 1885, Henri Brisson est élu avec Henry Maret, Pernolet, Mellot, Lesage et Pajot, avec 43 927 voix, il a le meilleur score des 6 candidats. En face D'Arenberg, De Vogüé, Rousseau, Tourangin, de Montsaulnin et Boinvilliers, obtiennent environ 37 900 voix selon les 6 candidats, tous battus. Ils représentent ce que les républicains appellent " les monarchistes coalisés ".

C'est un camouflet pour Eugène Brisson, et on ne sait pas si c'est de la rumeur male fondée, mais " il y a un bruit qui court depuis quelques jours, et la persistance nous oblige à le mentionner dit un journal local, mais monsieur Eugène Brisson a donné, ou va donner sa démission de maire de Bourges. "
Et réalité il n'en sera rien.

En 1885, c'est une année faste pour Henri Brisson, au moins à plusieurs raisons. Il va chercher avec beaucoup de ténacité à réaliser l'entente entre toutes les fractions républicaines. Il va déclarer à la veille des élections législatives d'octobre 1885, pense que " jamais nos divisions n'ont profité à la démocratie ".

Il aborde la question qualifiée de " si grave " des finances du pays. L'Opposition parle du " déficit de la république " et de ces " gaspillages " qui sont reprochés au gouvernement.
Il développe le thème de l'économie dans ses discours, parlant de la prochaine législature qui devra se pencher sur notre industrie, notre commerce et notre agriculture.

 

Pour gagner Henri Brisson devra " mouiller sa chemise ", car la situation en France est identique au Cher, les conservateurs sont largement en tête. La seule solution, ce sera l'union, comme toujours et les mots de Brisson passeront dans la postérité, " pas d'ennemis à gauche " et au second tour, ce Front Républicain l'emportera.
Sur 102 116 inscrits, il y a 82 957 votants, Henri Brisson est élu ainsi que ses 5 amis de la liste, avec près de 44 000 suffrages, le prince d'Arenberg obtenant 37 777 suffrages, il est battu.
Et Henri Brisson reste Président du conseil et député du Cher.

 

Le caractère d'Henri Brisson :

Comme Président de la Chambre des députés, c'est une vraie personnalité qui connaît tous les rouages de l'Etat.
Selon Henri Ripert, il sait se consacrer pleinement " à sa mission de directeur des débats, qu'il remplit avec une dextérité et une habileté remarquables, secondées par une grande science des règlements ". Ce qui n'empêche pas Clemenceau de multiplier les quolibets à son égard, le traitant d'" austère jésuite rouge ", ni son ami Scheurer-Kestner de rétorquer : " Personne n'était plus gai que Brisson, du moins quand il n'était pas triste ".

Il sera comme Jules Ferry ou Zola, parmi les hommes les plus haïs de cette période. En septembre 1884, il vient au Comice agricole de Lury, dans le Cher et il y fait un discours. Une certaine presse se déchaîne, on parle de " sa reconversion en agriculteur, et il est devenu président d'une association agricole dont il est le seul membre ", et pendant cette cérémonie, " au bout de laquelle ce puritain a distribué des médailles à quelques laboureurs roublards ".

Et puis on évoque le coût de l'estrade qu'il a fait installé, 1500 francs, et Henri est arrivé à l'estrade dans un carrosse tiré par plusieurs chevaux …le luxe des villes et du fonctionnarisme. Ça reluisait comme une Majesté et de conclure " ne venez plus nous parler de l'austérité,de vos mœurs, de la simplicité de vos habitudes ".

La vénération dont Brisson est entouré dans son parti pendant les dernières années de sa vie peut surprendre, car comme toute personnalité de la Troisième République il a été décrié et insulté pendant une grande partie de son existence, et en particulier par ses amis ou anciens amis.

" C'est un faux col et rien dedans " aurait déjà dit Gambetta. Pendant l'affaire Dreyfus, Clemenceau se demandait si Brisson était " plus bête que lâche ou plus lâche que bête" En 1909, Combes traite en privé le Président de la Chambre, dont "l'austérité " fait partie des poncifs journalistiques du temps, de "jouisseur" qui ne songe qu'a "vivre tranquillement à l'abri de toutes secousses ". Et la fraternité maçonnique n'empêche pas le socialiste Sembat de dénoncer les "crasses" et les "cochonneries" de Brisson lorsque celui-ci, en octobre 1910, refuse l'accès au Palais-Bourbon d'une délégation de cheminots grévistes... Il n'est pas simple d'être devenu un modéré.

Dans le discours de ses obsèques, Eugène Etienne dira de lui :
" Henri Brisson était du nombre de ces hommes qui donnent le beau spectacle d'une parfaite harmonie entre l'intelligence et le caractère, entre la raison et la conduite ; il n'a pas agi autrement qu'il a pensé et sa longue existence a été le pur reflet de ses idées. "

Lorsqu'il est appelé à la Présidence du Conseil en avril 1885, les journaux se déchaînent, mais à travers les dizaines d'articles, on trouve parfois quelques lignes sur son caractère, en sachant qu'il n'y a pas trop d'objectivité.
La Lanterne écrit ainsi, que Henri Brisson :
" a des principes et beaucoup de tenue. Figure sévère avec sa barbe en pointe qui grisonne, une médaille de puritain.
Il a la parole froide, un peu dure, calme et correcte même dans la violence car M H. Brisson est quelque fois fort passionné ".

Il est très simple de goûts et modeste dans ses habitudes intimes note un journaliste qui ajoute et " on ne s'en douterait guère, mais il peut être plein d'entrain, du moins avant la mort de son père.
Sous des dehors roides, il a plus de douceur qu'on ne croirait et beaucoup de bienveillance ".

Il est bon avocat, juriste d'instinct, jurisconsulte distingué et journaliste réussi. Il est toutefois un peu vieux jeu.

On dit aussi qu'il est étranger aux coteries, que son caractère est ferme et qu'il est constant dans ses opinions.

Dans ses souvenirs qu'il a publié vers la fin de sa vie en rassemblant des textes et discours de sa vie politique, on peut lire dans l'ouvrage consacré à l'Affaire Dreyfus, publié en 1908, " Vive la justice quand même ! " .
Il raconte :
" C'était le 9 septembre 1899 ; j'attendais anxieusement, sur la terrasse de mon jardinet de Montmorency, l'issue du procès de Rennes ; je comptais sur un télégramme. Tout à coup, un inconnu, passant rapidement dans la petite rue des Moulins, me salue, et, lisant dans mon regard, crie vers moi, d'une voix tremblante d'émotion : " Dreyfus est condamné, encore une fois ... Ne désespérons pas : vive la justice quand même !
je n'ai jamais revu cet inconnu, l'évènement l'a prouvé ".

 

Dans les recherches effectuées, Christophe Gratias a retrouvé un fait intéressant, c'est l'alignement du haut de la rue Moyenne, à Bourges où Henri Brisson possédait une propriété. Et il fera tout pour retarder le dossier d'élargissement de cette rue, pour construire les voies du tramway, et dans ce cadre, le devant de la maison devait être détruit. Finalement, il verra les pioches attaquer sa maison, dont il ne conservera que ce qui existe encore, celle des " objets trouvés " et son célèbre cadran solaire. C'était dans les années 1897/98.
Il avait usé de son influence auprès des maires de la ville.

 

Les querelles familiales berruyères

La vie de famille d'Henri Brisson est des plus simples, il était marié, son épouse est décédée quelques années avant lui.
Ils n'avaient pas eu d'enfants,
Il avait " adopté " les enfants semble-t-il d'Albert Joly, ancien député de Versailles et mort prématurément, et il s'était occupé de ses enfants, dont la fille d'Albert Joly qui était l'épouse de M. Girerd, son chef de cabinet.

C'est à la mort de sa mère qu'il va renouer avec Bourges, mais c'est à Vierzon qu'il va avoir de bien meilleures relations. Il était le fondateur de l'école professionnelle de Vierzon, les Vierz'arts.

Dans les années 1880, M. Henri Brisson était alors très jaloux de l'influence politique qu'il possédait dans son département d'origine ; mais cette influence ne tarda pas à être fortement entamée par suite du désaccord qui sépara bientôt le député de la Seine de son beau-frère et cousin germain, M. Eugène Brisson, alors maire de Bourges. Le père de M. Henri Brisson prit publiquement parti contre son fils, pour son neveu, et, à quelque temps de là, en 1884, M. Brisson, Président de la Chambre, ne pu se faire réélire conseiller général du Cher.

Eugène et Henri, les cousins vont se déchirer, alors que tous deux sont des républicains. Eugène Brisson (photo) est né le 26 mai 1832 à Clamecy. Son père était avoué à Clamecy et il l'envoya à Bourges pour qu'il fasse ses études au lycée de Bourges.
Il va se marier avec sa cousine germaine, qui était la soeur de Henri Brisson.
Il entre au Ministère des finances , puis ouvre une banque à Bourges.
A partir de décembre 1870, il assure les fonctions d'administrateur-intendant du camp d'instruction de Nevers.
Il arrive en 1874 à la vie politique, il est envoyé au Conseil municipal par le quartier d'Auron.
Et 1877 il est aussi élu Conseiller Général du canton de Charost et il remplace le conseiller sortant son oncle Brisson. (le père d'Henri )
Aux élections municipales de 1878, il est nommé maire de Bourges et restera 10 ans en fonction, jusqu'en 1888.

Eugène Brisson fut maire de la ville de Bourges du 23 janvier 1878 au 18 mai 1888
Eugène Brisson prend la place de Edmond Rapin maire en poste depuis 4 ans et c'est Théophile Lamy qui va lui succéder après 10 années de mairat.
On retiendra de ces dix ans :
La statue de Jacques Coeur par Préault fut inaugurée le 15 mai 1879 par le maire du moment, Eugène Brisson. Une réplique à la même échelle se trouve à Montpellier.
Le camp d'Avor
C'est donc après la défaite de 1870 et la Commune de 1871 que le pouvoir politique et militaire décide la création, loin de l'Est et aussi de Paris d'un camp d'instruction pour l'armée.
Cette école d'officiers réunira entre 400 et 450 élèves.
Mais en 1879, un an après son élection comme maire de Bourges, à la suite de querelles politiques, mettant en cause Henri Brisson, futur président du Conseil et son cousin germain Eugène Brisson maire de Bourges, il fut décidé que l'école de sous-officiers serait déplacée à Saint-Maixent.
Ce fut le début semble-t-il de la décadence du Camp d'Avor, qui va " vivoter " sans retrouver ses milliers de soldats et autres chevaux.
Aussi est-ce dans ce cadre historique que les élus du département dont Albert Hervet travaillèrent à une sorte de renaissance de ce Camp. On fondera alors une nouvelle école, avec cette fois des élèves pilotes. Avor deviendra Avord, et ce sera une base qui vit toujours un siècle plus tard.

Aux élections municipales de 1884 qui se déroulent les 4 et 11 mai c'est la lutte des cousins.
On trouve une liste de la mairie, républicaine, avec Eugène Brisson qui va s'intituler " Union démocratique " et une liste dite " conservatrice ". Mais il y a un petit problème, Henri Brisson vient dans le débat de sa ville natale.

Ce fut très difficile, il y avait eu semble-t-il 3 ou 4 listes et une liste avec le maire sortant Eugène Brisson, et une autre dite indépendante et baptisée parfois de conservatrice et une troisième liste républicaine emmenée par Michel Dubois soutenu par Henri Brisson, cette dernière est arrivée au troisième rang.
C'est finalement au premier tour Eugène Brisson qui est élu avec 5 autres de sa liste mais pour le reste des élus, il faut un second tour. la liste de Michel Dubois est largement battue et il reste encore une liste des conservateurs.

La presse locale qui soutien le maire parle alors " de ce pauvre Henri " :
" Il est aujourd'hui bigrement en colère le journal de M Henri Brisson. Ce cher Henri, cet agneau plein de candeur et d'innocence, on l'a accusé de ne pas aimer son beau-frère ! Quelle calomnie ! Henri aime tant Eugène Brisson qu'il voit avec frayeur ce dernier s'exposer à redevenir maire de Bourges et à subir ainsi de vilaines attaques, sur le point d'être à nouveau insulté par la Démocratie du Cher : c'est à ce péril qu'il veut l'arracher, il veut le sauver malgré lui, que lui importe la ville de Bourges et le département du Cher ".
Et l'article se termine par " Pauvre M Henri Brisson, que de larmes il va verser ".

Eugène Brisson va donc largement l'emporter et il sera élu maire par 28 voix contre 1 à Félix Chédin et un bulletin blanc.

Dans son discours d'installation il demande davantage de liberté pour les communes et une ingérence moindre de l'Etat. Il s'en prend au préfet sur deux sujets, un groupe scolaire rue Nationale et le marché couvert qui a laissé dormir les dossiers pendant 2 ans.
Et il termine en signalant à son nouveau Conseil municipal qu'il faudra voter un nouvel emprunt pour les travaux qui restent à réaliser.

En 1884, c'est sans doute la rupture familiale puisque visiblement il y a un contentieux qui se met en place entre Eugène et Henri, l'organe de gauche " La Démocratie du Cher signale que Eugène se plaint amèrement des agissements du cousin, " il éprouve le besoin de raconter ses petites misères de famille dans son journal et le journal de poursuivre, il est entendu que son cousin est un vilain méchant qui fait de la peine à Eugène, parce qu'il est jaloux de lui, voilà ! ".
A cette époque Henri Brisson est député et Président de la Chambre des députés et Eugène est maire de Bourges. Ce n'est sans doute pas le même niveau.
Et pourtant alors que Henri va devenir Président sur Conseil, et qu'à plusieurs reprises le président de la république lui a demandé de prendre cette charge, et qu'Henri a refusé, et bien, il aspire à devenir Conseiller municipal de Bourges et ensuite Maire de la ville.

En 1888, pour succéder au maire radical Eugène Brisson, en place depuis huit ans, une coalition comprenant le Docteur Mirpied et Théophile Lamy fut constituée. Cette liste dite de concentration républicaine avait, aux yeux des Berruyers, une sensibilité très socialiste.

Cette liste Mirpied-Lamy, soutenue par le grand Henri Brisson, cousin du maire sortant, fit une campagne acharnée, accusant Eugène Brisson de "malversations fantastiques", et c'est ainsi qu'en 1888, Bourges se donnait une municipalité socialiste. Mais les accords stipulaient que si la liste l'emportait, ce serait Mirpied qui serait élu maire. Le vote pour le poste de premier magistrat donna lieu à une séance rocambolesque. Au premier tour de scrutin, Lamy avait le plus de voix, mais, les bulletins blancs ayant été comptés pour déterminer la majorité absolue, il y eut un second tour qui vit l'élection de .... Mirpied. Une réclamation fut déposée auprès de la Préfecture, et, grâce à l'aide d'Henri Brisson qui connaissait parfaitement les rouages électoraux, la situation fut renversée : le premier tour de scrutin comptait et Lamy se retrouva un mois plus tard maire de Bourges

Et ce sont les élections législatives du 22 septembre et 6 octobre 1889, les Républicains l'emportent avec 366 sièges face à la droite qui n'en a que 168, les boulangistes 42. (Boulanger est condamné par la justice et il s'enfui)
A ces élections générales du 22 septembre 1889, à la suite de la loi contre les candidatures multiples, Henri Brisson abandonna le département du Cher, car les relations avec sa famille (les Brisson) ne lui furent pas favorables depuis 1884, et il se présente dans le département de la Seine qu'il avait déjà représenté à l'Assemblée Nationale de 1871 à 1876, il sera élu dans la seconde circonscription du X ième arrondissement de Paris ( Quartier Porte St Martin / Porte St Denis).
Il est le seul candidat républicain élu à Paris au 1 er tour. 6287 voix contre 4663 au général Thibaudin, un candidat boulangiste.

Parmi les nombreuses professions de foi, d'Henri Brisson a 50 ans, on peut trouver les idées suivantes :
- Le révision de la Constitution, avec le Sénat qui sera réformateur ou ne sera pas.
- La liberté de la presse, de réunion et d'association
- La question des congrégations religieuses sera réglée dans la loi relative à la sécularisation des biens détenus par le clergé.
- Affecter les biens détenus par les congrégations à des ouvres d'instruction, d'assistance publique et de prévoyance. Et d'évoquer la dotation de cet argent pour des caisses de retraite pour les ouvriers de l'agriculture et de l'industrie.
- La séparation de l'Eglise et de l'Etat
- La réforme de la Magistrature, avec l'extension de la compétence du juge de paix.
- L'instruction primaire gratuite, laïque et obligatoire, avec la multiplication des bourses pour les enfants méritants de recevoir une instruction secondaire et supérieure.
- Création d'un quatrième ordre d'enseignement dit Primaire supérieur et professionnel.
- Préparation de la jeunesse dans les écoles au service militaire ;
- Extension des libertés municipales dans la mesure compatibles avec l'unité nationale.
- Sur l'impôt sur le revenu, dégrèvement sur les boissons hygiéniques et aussi dégrèvement des droits de mutation sur les petites successions.
- Recherche des moyens pratiques de créer une caisse de retraite pour les ouvriers de l'agriculture et de l'industrie.
- Révision des tarifs de transports de chemin de fer à base kilométrique avec taxe décroissante.

Cette profession de foi qui date de 1891 montre parfaitement le programme de Henri Brisson et du Parti Radical de cette époque et il restera fidèle jusqu'à sa mort en 1912, c'est à dire pendant 20 ans, et parmi ce programme qui était un programme de législature, il faut reconnaître que beaucoup de choses seront effectuées, et dans ce qui est le plus essentiel.

 CHAPITRE 1 : 1835 - 1870 : la jeunesse d'Henri Brisson >>> CLIQUER

CHAPITRE 2 : 1871 - 1881 : L'âge adulte >>> CLIQUER

CHAPITRE 5 : la fin du Grand homme 1901 - 1912 >>>CLIQUER

 

a suivre avec le chapitre 4 >>> cliquer

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