CHAPITRE 4 : 1890 - 1900
Brisson en 1890 - 1898 face
aux affaires
1890 : Henri Brisson est un
vrai Radical type III ième République
Franc-maçonnerie, Brisson
et Bourges
Henri Brisson n'est pas loin d'avoir 60
ans, il commence à avoir l'aspect physique d'un grand
et beau vieillard, toujours habillé avec élégance,
comme un notable de province.
Il a quitté définitivement le Berry et n'y revient
que pour voir quelques amis, mais la politique est essentiellement
parisienne.
Il va affronter, après le Boulangisme, une crise qui va
faire vaciller la République, c'est la célèbre
Affaire Dreyfus, et l'antisémitisme violent qui en découle.
Il est alors à la Gauche Radicale, et lorsqu'à
la fin de la décennie, le pays ne sait plus comment se
" sortir " de l'Affaire Dreyfuss, il est appelé
comme chef du gouvernement devenant pour la seconde fois Président
du conseil.
A partir de ces années, il va se battre contre "
la Congrégation ", c'est à dire ancrer la
laïcité qu'il a appris autrefois dans les loges maçonniques
et devenir le chantre de la lutte contre le pouvoir de la religion.
Progressivement, Henri Brisson devient un sage, tout en restant
fidèle à ses convictions républicaines.
1890 - 1900 : les grandes
affaires de cette époque
La séparation de l'Eglise et de
l'Etat devient bientôt un des sujets préférés
du combat de Henri Brisson, alors que commence une des affaires
parmi les plus importantes de la Troisième République,
l'Affaire Dreyfuss.
Henri Brisson sera dans ces deux cas un personnage clé.
Dès 1885, lors des élections
législatives, il s'exprime sur ce sujet, en proclamant
qu'il approuve la séparation de l'Eglise, on ne dit pas
alors les Eglises, et l'Etat, mais, il ne croit pas que la majorité
du pays soit aussi impatiente que lui. Et il a bien raison, il
connaît parfaitement le pays. Il pense que l'on ne fait
pas assez de " propagande ", c'est le mot de l'époque,
on dirait aujourd'hui d'informations ou de pédagogie.
Il regrette aussi que tous les jours, des républicains,
libre-penseurs convaincus, font dans leur vie privée le
sacrifice de leurs opinions publiques et ils subissent la pression
de la routine, de l'usage, du préjugé et de la
vitesse acquise des cultes.
Parmi d'autres dossiers que traita Henri
Brisson se trouve La Marine, ce qui ne semble pas évident,
puisque Bourges n'a jamais été un grand port de
mer ....
Ce fait est moins connu, Henri Brisson est le rapporteur du budget
pour 1892 de la Marine, il propose un plan complet de réorganisation
de nos forces navales.
Comme chef des radicaux, il soutint activement
les ministères Waldeck-Rousseau et Combes, particulièrement
en ce qui concerne les lois sur les ordres religieux et la séparation
de l'Église et de l'État
Tout semble lui réussir, et Henri
Brisson qui n'est pas très à l'aise comme Président
du Conseil postule pour la Présidence de la République.
En décembre 1887, au moment de l'élection d'un
nouveau Président de la République, par suite de
la retraite de M. Jules Grévy, M. Henri Brisson se porta
candidat, mais ne réunit qu'un petit nombre de suffrages.
Brisson en 1890 - 1898
face aux affaires
Il y eut dans les grandes affaires de cette
période, l'affaire du canal de Panama en 1892 où
Henri Brisson fit preuve de beaucoup de force et de cran.
Souvent décrit comme rigoureux austère, c'est avant
tout un homme de principes fort scrupuleux : président
en 1892 /93 de la commission d'enquête sur l'affaire de
Panama, il se montre intraitable envers ceux qui sont accusés
de corruption. Il est néanmoins accusé d'une certaine
mollesse allant parfois jusqu'à des revirements.
L'affaire Dreyfus est le sujet qui divise
à la fois les élus et l'ensemble de la population.
Dans les débuts de cette affaire qui n'en est pas encore
une, les hommes politiques sont convaincus de la culpabilité
de cet officier qui fut par ailleurs, professeur à Bourges,
dans une école militaire.
Au moment de l'affaire Dreyfus, Brisson, selon la presse, change
constamment d'avis, se rangeant d'un côté ou de
l'autre selon l'évolution de l'opinion. C'est ainsi qu'il
ne désavoue pas son ministre Cavaignac, antidreyfusard
avéré, mais c'est tout de même lui qui fait
ouvrir quelques mois plus tard la procédure en révision
du procès.
Pourtant au début de cette Affaire,
il est comme la plupart des hommes politiques d'alors, Dreyfus
est coupable, les 7 juges ne l'ont-ils pas condamné de
manière unanime. Au vu des documents et des lettres certifiées
par le grand Berthillon certifiant qu'il s'agissait d'un écrit
de la main du capitaine Dreyfus, même Emile Zola restera
longtemps dans l'expectative. Il était le plus grand écrivain
de cette époque, et pendant les premières années
il ne suivra pas Mathieu Dreyfus le frère du capitaine
qui fut le seul à croire à l'erreur judiciaire
avant d'entraîner le vice président du Sénat.
Brisson sera sur la même longueur d'ondes, prudent et circonspect,
il est bien natif du Berry, et lorsqu'il aura la preuve écrite
du " faux Henry ", alors il foncera pour la révision.
Instinctivement méfiant à
l'égard de la grandeur il s'exclame un jour : " Gardez-vous
de vouloir faire grand ! Combien de ceux qui s'y sont essayés
ont rendu la France plus petite ". Avant tout serviteur
de la République, il considère que l'Assemblée
nationale doit veiller à la bonne marche de l'État
républicain dans la stabilité et l'autorité
: c'est ainsi qu'il tente de limiter les délégations
de vote des députés et se montre soucieux des deniers
publics en étant à l'initiative de commissions
de contrôle budgétaire.
Demande de révision
du procès d'Alfred Dreyfus par Henri Brisson
Henri Brisson, député des
Bouches-du-Rhône, est Président du Conseil quand
le ministre de la Guerre Cavaignac produit devant les députés
des "preuves " qu'on ignore encore être des faux.
Brisson raconte dans ses souvenirs ce moment
où on lui apporte les documents, " c'était
le mardi 30 août 1898, vers cinq heures du soir, que M.
Cavaignac est venu m'annoncer que la pièce Henry était
un faux.... ".
Brisson après avoir été, comme d'autres,
convaincu de la culpabilité de Dreyfus, change d'avis
et souhaite la révision du procès : le 26 septembre
1898, il obtient du Conseil des ministres l'autorisation de saisir
la Cour de cassation.
Plus
tard, alors Président de la Chambre en 1906, il évoque
en séance ce moment décisif :
" Vous oubliez, monsieur, que le faux Henry avait été
présenté au ministère que j'avais l'honneur
de présider par M. Cavaignac, que lorsque M. Cavaignac
a été obligé de proclamer lui-même
que le faux Henry était un faux, j'ai demandé immédiatement
qu'il fût procédé à la révision
du procès Dreyfus ; que M. Cavaignac a résisté
à cette révision et que, malgré toutes les
injures, tous les outrages, d'autres vilenies que je vous raconterai,
si vous voulez, et qui s'attaquaient à mon cur,
j'ai marché à cette révision jusqu'au bout
; et l'acte pour lequel j'ai été le plus injurié
est celui dont je m'honore le plus.
Ah ! messieurs, peut-être, trouve-t-on qu'ici je laisse
trop voir et mon ancienne opinion et mon opinion actuelle ; mes
chers collègues, je dois à chacun de vous l'impartialité
; c'est tout. Mais je ne connais pas de situation officielle
qui commande, qui permette même à un galant homme,
ou plus simplement à un honnête citoyen, de conserver
l'indifférence entre le crime et l'honneur. "
Plus tard dans un ouvrage entièrement
consacré à cette Affaire, H. Brisson écrira
:
" ... De même pour Dreyfus,
je ne connais pas le capitaine Dreyfus ; je ne connais aucun
des siens, ni des acteurs directs de ce drame, pas même
les avocats de la défense ; sa cause est pour nous une
cause idéale et si elle nous passionne, c'est avant autant
plus d'intensité qu'elle est moins personnelle ".
Il va poursuivre :
" Un président du conseil ne
peut pas, ne doit pas intervenir de son autorité dans
une instruction, je ne l'aurais pas fait en 1885, étant
ministre de la justice je ne l'ai pas fait davantage en 1898,
parce qu'il ne fallait pas compromettre par aucun incident ,
pour aucun intérêt, même grave, le but suprême
que je proposais : la révision ; et j'y suis arrivé
".
Le second sujet, ce sera sur les congrégations.
M. Henri Brisson prit fréquemment la parole à la
tribune de la Chambre, notamment sur le droit de réunion
(janvier 1880).
Anticlérical connu, en octobre 1880
voulut faire payer les congrégations religieuses des arriérés
considérables de contributions qui étaient dues
à l'Etat en vertu des lois sur les biens des sociétés.
La séparation de
l'Église et de l'État
En novembre, à propos du budget
de 1881, pour défendre le célèbre amendement
dont il était l'auteur et qui comprenait un ensemble de
dispositions ayant pour but de mettre un terme aux immunités
fiscales dont jouissent les congrégations. Cet amendement,
que la commission du budget et la Chambre des députes
adoptèrent successivement, fut considérablement
modifié et atténué par le Sénat,
.H. Brisson insista vainement, en décembre, pour le maintien
de la rédaction primitive: la solution de la Chambre haute
prévalut définitivement. M. H. Brisson présenta
encore, de concert avec M. Boulard, député du Cher,
une proposition de loi tendant a la " réforme de
la magistrature ".
Dans ses souvenirs, sur ce sujet des Congrégations,
Henri Brisson est intarissable, il va faire des calculs sur la
fortune de ces congrégations, et il va être l'homme
qui dira qu'elles possèdent pour 1 milliard de biens,
le chiffre restera.
Il écrit dans cet ouvrage :
" La Congrégation a retardé,
durant plusieurs années, l'établissement de l'institution
républicaine ; depuis 1876, elle n'a cessé de l'ébranler
et d'en entraver les progrès. Quoi d'étonnant que
je lui aie, soutenu par vous, consacré tant de pages !
".
" Il y a dix ans, à l'aide
de documents considérables établis par l'administration
des Contributions directes et par l'Enregistrement, je montrais
à à la tribune les Congrégations religieuses
possédant ou occupant une masse de 712 millions d'immeubles
; la valeur des immeubles possédés par les congrégations
religieuses reconnues s'élevait à 420 millions
tel était le résultat de l'enquête précise,
faite immeuble par immeuble, département par département
et je rappellerais que les mêmes congrégations reconnues
possédaient en 1850 42 millions d'immeubles seulement
"
Ainsi, la majorité des congrégations reconnues
avaient décuplé en trente années leur patrimoine.
Et il poursuit par les chiffres avec l'Ordre des Jésuites
qui a, à elle seule, 42 millions d'immeubles, c'est à
dire ce que possédaient toutes les congrégations
trente ans auparavant.
Les élections législatives
de 1893 se déroulent les 20 août et 3 septembre
pour le second tour. La Chambre des députés glisse
à gauche, car les socialistes ont 41 députés,
les radicaux 143 et les républicains de gouvernement tout
de même 279, ils glissent progressivement à droite
quant à la droite pure et dure elle est défaite
avec 79 députés.
Henri Brisson retrouve son siège dans ces élections
appelées alors générales du 20 août
1893, encore au premier tour, par 6.454 voix contre 1.663 à
M. Pieron
Le 18 décembre 1894, il avait retrouvé
la présidence de la Chambre pour la conserver jusqu'au
31 mai 1898 où il fut de nouveau appelé au pouvoir
Les échecs comme Président
de la République vont sans doute l'affecter, car visiblement
le poste lui aurait été parfait.
Candidat malheureux à la présidence
de la République en juin 1894 pour succéder à
Casimir Périer,
Ensuite, il fut un des candidats auxquels on pensa le plus pour
la présidence après l'assassinat du président
Carnot en 1894
Puis en janvier 1895 pour succéder à Félix
Faure,
Et ce sont les dernières élections
du siècle, les 8 et 22 mai 1898, en pleine affaire Dreyfus,
les Républicains modéré ont 254 sièges,
alors que les Radicaux en ont 104 et les Radicaux indépendants
104 et les Radicaux socialistes 74 et les Socialistes augmentent
leur nombre de députés ave 57 sièges.
La gauche a 432 sièges, la droite 96 et les socialistes
57, tels étaient les clivages de l'époque.
Ses électeurs restèrent fidèles à
Henri Brisson, Radical, le 8 mai 1898 en lui renouvelant son
mandat par 6.916 voix contre 1.835 à M. Roldes.
Au milieu de l'année 1998, se forme
le second gouvernement Henri Brisson succédant du 28 juin
1898 au 26 octobre 1898 à celui de Jules Méline,
et il sera à son tour remplacé par Charles Dupuy
(4 ième gouvernement).
En effet, la majorité progressiste de centre-droit était
profondément divisée. Le président de la
République, Félix Faure, était antidreyfusard,
tout comme Méline qui durant ses deux ans à la
présidence du Conseil (de 1896 à 1898) s'obstina
à s'opposer à la révision du procès
Dreyfus, ce qui ne contribua pas peu à l'aggravation de
la crise. Puis il finit par tomber, à cause de l'Affaire.
Le gouvernement qui lui succéda, dirigé par Henri
Brisson, était complètement désemparé.
Brisson tout en étant un radical
reconnu, était isolé dans un gouvernement dominé
par les progressistes.
Il forma ce gouvernement quand le pays
fut violemment agité par l'affaire Dreyfus ; il prit partie
pour Alfred Dreyfus.(Il eut comme secrétaire particulier
un jeune avocat israélite : Louis André Caen) ;
sa fermeté et son honnêteté augmentèrent
le respect du public à son endroit, mais un vote hasardeux
renversa son ministère en octobre 1898.
Il fut en plus Ministre de la Justice et des Cultes
Il a pris le mercredi ses fonctions du
ministère de l'intérieur, il était accompagné
de M Girard et installé par M. Louis Barthou.
Dans ce cabinet, il y a quelques fortes personnalités
comme Delcassé aux Affaires étrangères,
Sarrien à la Justice Léon Bourgeois à l'Instruction
publique et Cavaignac le général au ministère
de la Guerre.
Les journaux sont assez durs, la Dépêche
du Berry écrit le 1 er juillet 1898 :
" M Brisson est un républicain à étiquette
radicale, mais nous l'avons déjà vu au pouvoir
et il n'a pas laissé le souvenir d'un casse-cou toujours
prêt à se lancer dans les aventures. Au contraire
on peut lui reprocher un peu d'indécision, lors des décisives
élections de 1885 ".
Il constitue un gouvernement radical modéré qui
sera emporté en octobre par la tourmente de l'affaire
Dreyfus.
C'est en effet, la suite de l'Affaire Dreyfus, car il y a une
opposition entre l'armée et ses officiers, très
anti-dreyfussards, et les républicains. Chacun savait
que Dreyfus était innocent, mais beaucoup, pour sauver
l'honneur des militaires ne voulaient pas de révision
du procès.
D'ailleurs, le fait qu'Alfred Dreyfus ait demandé et obtenu
la grâce présidentielle, avait jeté un trouble
chez certains de ses partisans.
Mais Henri Brisson a partir du moment où il su que les
preuves du " faux Henry " étaient sur son bureau
de Président du Conseil, il mis tout son poids dans la
balance après le 31 août 1898 et le suicide de Henry
pour la révision que la cour de cassation accepte le 29
octobre 1898.
Brisson est bien seul puisque son ministre
de la guerre, Godefroy Cavaignac démissionne, son successeur
ne tient pas, c'est le général Zurlinden et il
démissionne, et enfin le troisième le général
Chanoine démissionne aussi : aucun ne veut la révision.
Ainsi durant tout l'automne les ministres
de la Guerre démissionnèrent en cascade pour ne
pas avoir à rouvrir le procès, ce qu'il fallut
bien finir par faire fin octobre
mais cela entraîna,
au lendemain de l'accord sur la révision la chute du gouvernement
Brisson, remplacé par un gouvernement Dupuy, guère
plus vaillant.
Il y avait peut être aussi pour expliquer cette chute,
la suite de l'évacuation de Fachoda le 4 novembre 1898,
considéré comme un recul de la France.
A noter enfin, sous le ministère
Brisson en 1898 la création du corps des Inspecteurs du
travail en août.
Sur le plan factuel, Brisson est mis en échec à
propos des crédits demandés pour l'expédition
du Tonkin par les députés hostiles à sa
politique coloniale.
1890 : Henri Brisson est un vrai Radical
type III ième République
Henri Brisson est le symbole à la
fois de la République, de la laïcité et aussi
de l'anticléricalisme et du radicalisme, intransigeant
puis modéré.
Le radicalisme se divise en trois tronçons :
Les Amis de Léon Gambetta devenant
les " opportunistes ", c'est l'Union Républicaine,
avec Brisson jusqu'en 1889, et aussi Charles Floquet et René
Waldeck-Rousseau, ce sont des radicaux assagis.
A l'opposé les " intransigeants " avec Clémenceau
et Pelletan, ils veulent l'application intégrale du programme
de Belleville.
Entre les deux, la gauche radicale qui se forme par une scission
des radicaux qui quittent l'Union Républicaine avec Floquet,
Brisson, Lockroy : ils ménagent l'avenir.
Le radicalisme de Brisson n'est pas le
radicalisme intransigeant de Clemenceau et de Pelletan. Il est
resté un fidèle de Gambetta mais il a pris ses
distances avec la version ferryste de l'opportunisme.
Sa nuance politique est celle des radicaux modérés
qui fondent en 1881 le groupe de la Gauche radicale.
Ces radicaux sont bien implantés dans les villes moyennes
et à la campagne, ils en viennent nous dit André
Encrevé dans un Que sais-je ? " à incarner
la République et l'anticléricalisme républicain,
en particulier à partir de 1899 parce qu'à l'occasion
d el'Affaire Dreyfus, l'Eglise leur est apparue comme menaçant
la démocratie libérale ".
Brisson s'est déjà éloigné de la
politique des groupes, peu attiré par les responsabilités
gouvernementales, nourrissant des ambitions élyséennes
puisqu'il sera trois fois candidat à l'élection
présidentielle, il succède à Gambetta à
la présidence de la Chambre en 1881. Il va occuper cette
fonction jusqu'en 1885; il la retrouvera en 1894-1898, en 1904,
puis de 1906 à sa mort.
Dans les années 1890, Brisson s'est
rapproché des radicaux les plus avancés, essentiellement
sur le terrain de l'anticléricalisme. Il est de ceux qui
ne croient pas à la sincérité du ralliement
de l'Eglise à la République, qui voient dans la
politique d'apaisement religieux de Spuller et de Méline
une " désertion des vieilles doctrines ", un
" abandon de la vigilance nécessaire ". Avec
Goblet, Floquet, Allain Targe et Léon Bourgeois, il parraine
en 1894 la création du Comité central d'action
républicaine, d'où sortira l'année suivante
le Comité d'action pour les réformes républicaines,
ancêtre du Parti républicain radical et radical-socialiste
de 1901.
Son retour au pouvoir, en 1898, est une
expérience douloureuse. Il déçoit d'amblée
les radicaux de conviction en présentant une version très
édulcorée du programme radical et il laisse se
déployer l'antidreyfurisme virulent de son premier ministre
de la Guerre, Cavaignac. Il ne se ressaisit qu'après le
suicide du faussaire Henry et c'est son gouvernement qui décide,
le 26 septembre, d'engager la procédure de révision
du procès Dreyfus. Mais Brisson ne parvient à rallier
à la révision aucun de ses trois ministres de la
Guerre successifs, ce qui provoque la chute du ministère
le 25 octobre.
Ses hésitations, son impuissance
à empêché que le colonel Picquart soit traduit
devant la justice militaire, lui ont valu de sévères
critiques des dreyfusistes.
Franc-maçon reconnu
: Brisson et Bourges
On ne peut pas parler d'Henri Brisson sans
mettre en avant un fait, vrai ou faux, sur le comportement de
cet enfant de Bourges, alors qu'il est Président de la
Chambre des députés.
Selon " Hiram ", en juin 1899, en plein cur d'un
débat houleux à l'Assemblée nationale, l'ancien
ministre, le député et franc-maçon Henri
Brisson, du haut de la tribune, prend une posture peu ordinaire.
Il croise les doigts, tend les bras au-dessus de sa tête,
renverse son corps en arrière et lance un " à
moi les enfants de la veuve ! ". Ce cri, dit-on aurait permis
de rallier les députés francs-maçons présents
et sauver le ministère Waldeck-Rousseau. Légende
ou fait historique ? la vérité s'est perdue mais
l'histoire est tenace.
La réalité est sans doute plus simple, le 26 juin
1899,
Cela va permettre pendant des décennies
de faire connaître cet homme uniquement pas ce fait, en
occultant le reste de son action politique pendant 40 ans.
Cela mettait aussi en avant les relations plus ou moins coupables
entre cet ordre avant tout initiatique et le monde de la politique.
1901 se réunit le premier congrès
du parti républicain radical-socialiste, c'est la suite
du Comité d'action pour les réformes républicaines
de 1894 avec les frères Léon Bourgeois et Gustave
Mesureur.
Dans ce premier congrès de 1901, on trouve le frère
Mesureur, un dignitaire de la Grande Loge.
Henri Brisson, de la loge Ecossaise " La Justice ",
ainsi que le frère Léon Bourgeois et un sympathisant
présidèrent ce congrès.
D'ailleurs d'après J. Bidegain, " en 1903, presque
toutes les Loges étaient affiliées au Comité
Radical et radical-socialiste alors qu'une circulaire du Conseil
de l'Ordre (du GODF ?) du 18 mai 1903 rappelait l'article 15
de la Constitution interdisant aux Loges d'adhérer en
tant que telle à un parti politique.... "
Le Parti Radical sollicita d'ailleurs des
aides morales et pécuniaires de la part des ateliers....
Parmi les membres des organisations maçonniques
des débuts de la Troisième République, qui
eurent un rôle primordiale figurent des noms aujourd'hui
disparus de nos mémoires, mais il en reste encore, et
P. Chevallier cite comme premier nom, celui de Henri Brisson,
" du Rite Ecossais, député, ministre et Président
de la Chambre ". Il y a ensuite, Mesureur, puis Marcel Sembat,
Maurice Violette, gouverneur général en Algérie,
Paul Doumer, mais aussi des gens comme le pasteur Frédéric
Desmons, plusieurs fois Président du Conseil de l'Ordre,
ainsi que Arthur Groussier.
D'une manière globale, sous la Troisième
République, les présidents de chacune des deux
assemblées, Sénat et Assemblée Nationale
ont presque toujours été des frères. Et
de citer le frère Léon Gambetta, mais aussi Henri
Brisson, Charles Floquet ou Jules Méline.
Et puis ce fut aussi la valse des Présidents
du Conseil, et les frères se bousculent à ce poste,
car c'est l'exécutif, puisque le Président de la
République n'a pas un rôle politique fort.
Alors, on évoque " la République des Jules
", avec les francs maçons célèbres,
comme Jules Simon, Jules Ferry, Léon Gambetta, Henri Brisson,
Rouvier, Léon Bourgeois, Emile Combes, Gaston Doumergue,
René Viviani, Alexandre Millerand et quelques autres.
Pour les élections présidentielles,
qui étaient votées par le Congrès c'est
à dire les deux chambres parlementaires, il y avait selon
Félix Faure une réelle indépendance vis
à vis de la maçonnerie, car Henri Brisson aurait
du être Président de la république si cela
avait joué à fond.
Ce ne fut pas le cas, Faure dit : (p 24)
" ... Si, parmi les républicains, il en est un qui
soit sympathique aux francs-maçons militants, c'est bien
Brisson. Il est très appuyé par le personnel dirigeant
des Loges. Eh bien ! Quoique la plupart des républicains
de la Chambre et du sénat, même les modérés
fassent parti de la maçonnerie, jamais Brisson n'a pu
réunir l'unanimité de leurs voix pour se faire
élire Président ... Nous étions tous d'accord
pour écarter Brisson de la présidence, parce que
nous craignions ses opinions trop radicales. Si j'avais eu moins
de voix que Waldeck, les modérés maçons
et moi le tout premier, nous aurions voté pour Waldeck
qui, je crois, n'est pas franc-maçon ... contre le franc-maçon
Brisson. "
Au cours d'un Convent, plus tard en 1919,
le frère Lafferre, ministre de l'Instruction publique
va déclarer : " Au-dessus des gouvernements qui passent,
la Maçonnerie, armature de la République, reste
".
Si il y a 20 000 francs maçons en
1889, ils sont 32 000 en 1908 et ensuite 50 000 dans les années
1930, toutes obédiences confondues.
Aux élections législatives
du 4 octobre 1885, on retrouve Henri Brisson.
Les autorités maçonniques s'entremirent pour imposer
une unité d'action et une discipline commune, pour favoriser
des comités d'action soutenant les candidats républicains.
Il fallait que ces candidats fussent à la fois démocrates
et ... anticléricaux !
Et un des artisans de cette politique fut Henri Brisson, car
au premier tour de scrutin, les monarchistes étaient en
tête, et la République était en difficulté.
En particulier, si les villes étaient acquises à
la République, les campagnes étaient toujours monarchistes.
Et puis ce fut la victoire au second tour, avec l'union des républicains
et ce mot célèbre de Henri Brisson, " Pas
d'ennemis à gauche ".
Ce front républicain comprenait les radicaux et les opportunistes
à égal nombre ou presque.
On trouve dans les archives, un banquet
du grand Orient de France, entre les deux tours de scrutin, cela
s'est passé semble-t-il au siège du Grand Orient
avec 500 convives. Il y a là Charles Floquet et ce sont
les grands discours sur la nécessaire concentration de
toutes les forces républicaines.
Au dessert, ce devait être tard,
lorsque l'on connaît la notion de banquet républicain
sous la Troisème République, c'est la lecture d'une
lettre de M. Henri Brisson , qui regrette de ne pas pouvoir se
rendre à ce banquet, et " je félicite les
organisateurs de la Fédération républicaine
qui se sont inspirés , dans leur oeuvre d'union et de
concorde de la première République ".
Les applaudissements sont nourris.
En avril 1885, alors qu'il est tout nouveau
Président du Conseil, Henri Brisson est attaqué
de manière violente par la presse conservatrice et catholique.
Ses adversaires parlent de " la haine
farouche de M H. Brisson en toute circonstances contre la religion
catholique ", et certains affirment que M Brisson a des
origines protestantes. le journal, la Patrie ajoute " cette
allégation est peu aimable pour les protestants qui, justement
parce qu'ils sont très attachés à leur culte,
respectent celui des autres... "
Henri Brisson est qualifié de libre
penseur, de sectaire, et même d'athée, qui semble
être alors l'injure suprême. Et certains ajoutent
comme circonstance atténuante qu'il a même un chanoine
parmi les siens.... Et de poursuivre sur ledit chanoine qui était
le grand oncle de l'actuel Chef du gouvernement et ce chanoine
Brisson était attaché à l'évêque
constitutionnel Torné, qui, sous la Révolution,
devenu républicain rompit ses voeux et se maria à
Bourges même, siège de son ancien épiscopat.
Et le chanoine Brisson suivit ce bel exemple et jetant sa soutane
aux orties conduisit une de ses pénitentes devant l'officier
d'Etat civil.
L'appartenance de Henri Brisson à
la franc maçonnerie est alors de notoriété
publique, les journaux racontent son parcours avec des détails,
vrais ou faux. Il est un " vétéran de la franc
maçonnerie, et en 1872 il remplissait les hautes fonctions
de Grand Orateur de la grande Loge Centrale au rite écossais
et le 12 février 1882, il présidait au sein de
la Loge " La Justice " la fête du solstice d'hiver
" ..... et de citer comme le fait régulièrement
aujourd'hui Le Point ou L'Express que " le zèle maçonnique
de M H. Brisson rayonne sur son entourage ". C'est ainsi
que son chef de cabinet, le profane Vacherie se fait initier
dans la Loge des " Disciples du progrès " à
l'Orient de Paris, déjà un chef adjoint de cabinet,
le frère Marmonier était l'Orateur de la même
loge des " Disciples du progrès " en 1883.
les rumeurs dans ce domaine sont puissantes,
en 1898, au sommet de l'affaire Dreyfus, la question de l'appartenance
de Dreyfuss à la maçonnerie se pose car, un "
Alfred Dreyfus " avait été initié en
janvier 1885.
Le Conseil de l'Ordre du Grand Orient avait rappelé la
déclaration votée en 1898 dont l'effet avait été
d'encourager le ministère présidé par le
frère Henri Brisson à agir en faveur de Dreyfus.
Le cabinet Brisson avait pris l'initiative, avant le Conseil
de l'Ordre semble-t-il, de demander la révision du procès
de 1894, ceci devant la cour de cassation.
Dans ces années les ministères
étaient formée de nombreux francs-maçons,
comme celui de Léon Bourgeois en 1896, l'un des plus maçonniques
de la Troisième République.
Le second ministère Brisson fut composé d'une demi-douzaine
de francs maçons, dont le frère Delcassé
aux Affaires étrangères.
Puis c'est l'affaire des fiches et la chute du petit père
Combes, le frère Emile Combes.
Mais dès 1891, le Convent du grand
Orient remercia le frère Henri Brisson d'avoir dénoncé
à la Chambre, le danger que les congrégations faisaient
courir à la République, ce même convent demanda
d'ailleurs aux parlementaires de voter toute mesure législative
sur la suppression des congrégations.
Mais lors de la crise de 1899, alors que
les nationalistes se lançaient à l'assaut de la
République, ce sont des ministères avec en particulier
Waldeck Rousseau qui firent ce que les frères n'auraient
sans doute pas oser faire. C'est en effet la laïcisation
de l'Etat, et les lois de séparation des Eglises et de
l'Etat.
On retiendra en 1899, ces mots du pasteur
Desmons : " La République, ce mot veut dire pour
moi antimilitarisme, anticlérical, socialisme ... "
En 1904, la Chambre des députés
émit un vote positif sur la proposition d'abrogation de
la loi Falloux, présenté par Henri Brisson, mais
le monopole ne fut jamais institué.
En janvier
1905, le ministère de Combes tomba sur l'affaire des fiches.
Des fiches avaient été établies avec l'aide
de la maçonnerie pour noter les officiers de l'armée,
sur le plan de leur position vis à vis de la République.
Le résultat fut une campagne anti maçonnique virulente
et à l'ouverture de la cession de l'Assemblée nationale,
le frère Paul Doumet battit pour la présidence
de la Chambre, le frère Henri Brisson. La maçonnerie
n'était pas un bloc et Combes démissionna, il aurait
été renversé !
La Franc-maçonnerie est au sommet
de sa puissance politique en France, c'est la République
des Jules, la seconde avce Jules Favre et autres Jules Simon
... et puis il y a eu les Gambetta, Jules Ferry et Henri Brisson.
A Bourges et c'est curieux, la franc-maçonnerie
est absente du paysage local. Il faut attendre 1903 pour qu'une
loge se constitue avec pour nom " Travail et Fraternité
", et cette loge du Grand Orient de France, devient particulièrement
active et militante pour la Troisième République.
Lors de la réunion du 24 janvier
1904, le Vénérable de "Travail et Fraternité",
Courbier reçoit deux visiteurs Francs-Maçons :
Daumy, sénateur du Cher, accompagné de Béraud
sénateur du Vaucluse. Dans les travaux qui suivirent l'interrogation
d'un profane "sous le bandeau", le F.°. Soubret
proposa de voter une "adresse au F.°. Combes ministre
de l'Intérieur, Président du Conseil avec leurs
plus chaleureuses et frat.°. félicitations à
l'occasion de la défaite qu'il vient d'infliger à
la coalition réactionnaire et cléricale rangée
sous le drapeau nationaliste à la date du 22 janvier dernier".
Et sur la lancée de ces phrases qui situent bien le combat
de la Franc-Maçonnerie, les mêmes Frères
proposent une seconde "adresse", acceptée, comme
la première à l'unanimité :
" prient leur compatriote et F.°. Henri Brisson de vouloir
bien accepter l'expression de leur plus frat.°. sympathie
à l'occasion de son élection à la Présidence
de la Chambre des Députés ".
Henri Brisson a l'appui des francs maçons
de Bourges et du Cher, et il ne fait aucun doute que si la loge
avait existé en 1885 et 1898 lorsque Brisson fut Président
du conseil, il y aurait eu de nombreuses " batteries d'allégresses
".
Les attaques dont sont l'objet les Francs-Maçons
dans les journaux de Bourges et du Cher ont exaspéré
certains Frères, et l'un d'eux a répondu en tant
que Franc-Maçon. Ce fait lui est reproché par le
Vénérable qui rappelle que toute réaction
doit avoir reçu l'approbation "de celui qui a la
responsabilité morale de la marche de l'atelier",
et il ajoute que "la maçonnerie a été
attaquée et vilipendée, que jamais elle n'a daigné
répondre à ces attaques et que c'est ce qui en
fait sa force. Il y a intérêt à traiter par
le mépris les attaques générales dont elle
peut être l'objet".
Les journaux qui relatent cette information
ajoutent que la Franc-Maçonnerie tient sa puissance par
sa qualité de société secrète et
que le fait de devenir une Association "reconnue d'utilité
publique" ne changera rien. Le Journal du Cher signale après
un titre sur "une déclaration sensationnelle"
que "toutes les révolutions, en France, en Italie,
au Portugal, en Turquie, en Perse, en Chine sont le fait des
Francs-Maçons....". Il rappelle aussi que le "Frère
Brisson " à la Chambre des Députés,
fit un jour un signe symbolique du haut de la tribune en criant
"à moi les enfants de la veuve" et tout s'aplanit
et s'arrangea au Parlement. La conclusion du journaliste est
assez symptomatique de l'esprit de l'époque, peu favorable
en général à cette société
humaniste : "Désormais la Franc-Maçonnerie
sera invitée à toutes les cérémonies
officielles. Elle avait tous les profits, elle avait le pouvoir
; elle veut aussi les honneurs". On ne peut être plus
perfide !
Pour André Encrevé, les radicaux
furent souvent proches de la franc-maçonnerie, celle-ci
joue le rôle de ciment des forces de gauche.
La suite au CHAPITRE 5
: la fin du Grand homme 1901 - 1912 >>>CLIQUER
- Le Congrès de constitution du
Parti radical
- La fin du grand homme en 1912
- Conclusions
CHAPITRE 1 : 1835
- 1870 : la jeunesse
d'Henri Brisson >>>
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CHAPITRE 2 : 1871 - 1881
: L'âge adulte >>>
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CHAPITRE 3 : 1882 -1890 : au plus haut niveau >>>CLIQUER