Parmi
les merveilles de la cathédrale de Bourges, inscrite depuis
1992 au patrimoine mondial de l'UNESCO, on découvre les
vitraux du XIII e siècle, les 5 portails dont le jugement
dernier est une des merveilles de l'art occidental, et enfin
l'architecture générale : c'est une cathédrale
de lumière sans transept. Tout ceci est largement connu
par les Berrichons et les Touristes.
Pourtant, la cathédrale permet toujours de retrouver d'autres
merveilles, encore et encore, c'est le cas de l'Horloge Astronomique,
datée de 1424 et remise en vue et en état "par
miracle" dans les années 1990.
Sauvée
par miracle
C'était un jeudi soir froid et pluvieux,
le 24 janvier 1986, je préparais le journal local de la
radio Recto Verso, et j'interviewais une personnalité
parisienne à la Chambre de Commerce et d'Industrie dans
le cadre des informations du lendemain matin lorsque je reçus
un appel téléphonique : la cathédrale était
en feu !
J'étais sur les lieux quelques instants
plus tard, les pompiers terminaient leur travail, ils étaient
venus à bout des flammes. Mais les dégâts
semblaient importants, la fumée se dissipa et chacun vit
un des portails du parvis calciné et l'intérieur
de l'édifice noirci sans trop pouvoir appréhender
l'ampleur des dégâts. La police est présente
et trouve assez vite les causes du sinistre.
Des gosses jouant avec des pétards avaient mis le feu
à la réserve des cierges en lançant ces
objets à l'intérieur de la cathédrale
car cela faisait beaucoup de bruit.
Chacun s'aperçoit qu'il y avait à proximité
une horloge que certains appelaient " l'horloge de Louis
XI ". Elle datait de 1424 et était en bien mauvais
état.
Quelques recherches montrent qu'il s'agit d'une relique de la
plus grande importance, due à un savant, le chanoine Jean
Fusoris.
Avant
d'aller plus loin, vous pouvez passer commande de cet ouvrage
:
Novembre
1424: lhorloge astronomique, imaginée par Jean Fusoris
et construite par André Cassart, est mise en service sur
le jubé de la cathédrale Saint-Etienne de Bourges.
Elle y fonctionnera pendant plusieurs siècles, rythmant
les évènements religieux, avant de sombrer dans
loubli.
21 juin 1992: signature dune convention de mécénat
technologique en vue de réhabiliter cette merveille dhorlogerie
médiévale.
21 juin 1994: inauguration en la cathédrale de la copie
fonctionnelle de lhorloge et de la présentation
de loriginale.
Cest lhistoire de ce mécanisme extraordinaire
dont la précision est dune seconde pour 150 ans
et dont lunique aiguille donne six des sept indications
astronomiques qui nous est contée ici. Cest aussi
laventure de sa réhabilitation.
Les deux auteurs, techniciens qualité à létablissement
de Bourges dAEROSPATIALE, furent deux des acteurs qui menèrent
à bien cette tâche exaltante, riche dHistoire,
de technique horlogère et de chaleur humaine.
Le contexte
historique :
Dans ces années 1420, la France
va mal, la guerre "dite de 100 ans" fait rage, et le
roi Charles VI n'a plus tout a fait sa raison depuis longtemps.
Son fils, le dauphin Charles épouse le 22 avril 1422,
Marie d'Anjou dans la cathédrale de Bourges, et
6 mois plus tard, son père, le roi Charles VI meurt et
le dauphin se proclame roi, le 26 octobre 1422.
La ville de Bourges est devenue, par la force des événements,
la "capitale de la France", et le roi Charles VII est
appelé, parfois par dérision, "le petit roi
de Bourges", cela va durer 15 ans!
C'est dans ces moments là que se
produisent deux naissances à Bourges, la première,
assez classique, c'est celle du futur Louis XI qui voit le jour
à Bourges le 3 juillet 1423, la seconde naissance, plus
surprenante, est celle d'une horloge ! C'était en mars
1424.
Quelle relation pouvait-il exister entre la naissance royale
et cette horloge ? nul ne le sait, mais il y a comme une coïncidence
intéressante.
Le génie du chanoine Jean Fusoris
Jean Fusoris est le concepteur de l'horloge
astronomique de Bourges. Cet homme
est né vers 1360 et possède de nombreux diplômes,
se spécialisant dans le métier "des Quadrans
et orloges", on lui doit un astrolabe assez remarquable.
Comme souvent à cette époque,
Jean Fusoris avait plusieurs cordes à son arc,
il exerçait les fonctions de médecin, mais comme
souvent à cette époque, il était mathématicien
et astronome. En 1404, il est nommé chanoine de Reims.
Il travaillait et excellait dans l'art de l'horlogerie, s'entourant
par ailleurs de plusieurs associés.
Cette horloge est située dans un
buffet de bois, de bonne dimension, puisqu'il mesure 6,2 mètres
de hauteur et la surface au sol est un carré de 1,75 mètres
de coté. Elle comporte un mécanisme fort complexe
réalisé par un serrurier de Bourges appelé
André Cassart, (voir un complément en fin
d'article) les plans et les calculs sortant du génie de
Jean Fusoris qui n'ignorait rien des mathématiques.
Le cadran principal est un bijoux artistique
dû au pinceau de Jean d'Orléans, de son vrai nom
Jean Grangier, il avait été au service du prince
Jean de Berry. Certains pensent que les frères de Limbourg,
les enlumineurs des "Très Riches Heures" ont
formé cet artiste qui vécut à Bourges jusqu'à
sa mort en 1460.
Ces figurines représentant les signes du zodiaque sont
d'une grande pureté de trait assez comparables à
celles des livres d'enluminures
Le cadran fut payé 24 écus (à convertir
en Euros
).
Et l'Heure
dans tout ça ?
Une horloge, par définition, donne
l'heure. Visiblement, ce n'était pas le souci de Jean
Fusoris. En effet, l'horloge donne les jours, les phases de la
lune, la marche du soleil avec le lever et le coucher du soleil,
le zodiaque
. avec une seule aiguille située dans
le cadran inférieur.
L'heure dans le cadran du dessus date du XIX ième siècle,
elle indique effectivement l'heure et les minutes au moyen de
deux aiguilles.
En suivant les indications astrales données
par cette unique aiguille, même les spécialistes
sont subjugués. En (A), le cadran divisé en deux
parties de 12 heures permet de lire l'heure équinoxiale.
Le second cadran (B) est divisé en 29,5 parties représente
le cycle lunaire, dans une ouverture, apparaît en (C) le
disque lunaire tel qu'il peut être vu à Bourges.
Sur le cadran (D), 12 secteurs ont été dessinés,
ce sont les signes du zodiaque. Le bord du disque gradué,
(E) indique le jour à l'intérieur du zodiaque,
ce disque fait un tour par an. En (G), au milieu du cadran, c'est
l'heure temporaire, douzième partie du jour quelque soit
la saison, ainsi, en été, l'heure temporaire est
plus longue qu'en hiver ! Et enfin, en (F), c'est le déplacement
du soleil donnant la hauteur de l'astre par rapport à
l'horizon.
Cette horloge, que
des maîtres maçons placèrent en juin 1424
au dessus du jubé de la cathédrale, ce qui ne permettait
que de deviner l'heure, était essentiellement un pari
technologique et une uvre d'art.
On a calculé que c'était le plus précis
de tous les cadrans du monde de cette époque, avec une
erreur d'une seconde en 150 ans
..
Pour le son, 4 cloches furent installées, avec un tintement
tous les quarts d'heure, et à chaque heure, les 4 premières
notes du Salve Régina, " la, sol, la, ré".
Parmi les engrenages retrouvés,
construits par André Cassart au XV ième siècle,
il existerait des trains de type " différentiels
", système mécanique révolutionnaire
utilisé dans les automobiles plusieurs siècles
plus tard. Cette découverte si elle était confirmée
serait une "première" considérable sur
le plan technologique.
La réhabillitation
de l'horloge
Après l'incendie de 1986, l'horloge
fut remisée au fond de la nef
. Elle n'intéressait
plus personnes, et pour beaucoup, elle devrait s'en aller assez
vite sur un tas d'ordures.
C'était sans compter avec le miracle, et la passion de
quelques hommes, responsables économiques.
Ce fut la rencontre entre Max Brunet, directeur d'EDF/GDF, service
Cher en Berry avec Jean Yves Ribault, directeur des archives
départementales, et passionné d'Histoire locale.
C'était en 1991. Ce fut sans doute la plus importante
opération de mécénat technologique qui se
déroula dans le Cher et sans doute le Berry.
Une convention est signée le 21 juin 1992 entre le Centre
EDF/GDF Service, Aérospatiale, dirigée par Philippe
Le Corviger, l'Université Technologique de Compiègne,
le Centre Nucléaire de Production d'Electricité
de Belleville et enfin l'Etat, personnifié alors par le
préfet Roland Hodel, le clergé avec Mgr Plateau
signa le document. Chacun était d'accord pour se partager
le travail nécessaire d'une part au traitement et à
la conservation du mécanisme ancien dont il manquait de
nombreuses pièces à la réalisation d'une
copie du mécanisme ancien, fidèle, et en état
de marche .
Un travail
de titans
Aérospatiale, avec Jean Yves Catoire
et Alain Bougelot furent chargés de dresser les plans
de toutes les pièces, et mesurèrent celles existantes,
reconstituant celles qui avaient disparues. La machine à
mesurer MMT, vit ainsi chaque soir, le remplacement d'une nervure
d'Airbus par un engrenage de l'horloge du XV ième siècle
.
Un travail de passionnés.
Ainsi, ce sont 200 pièces mécaniques qui furent
mesurées, 5000 relevés de cotes, aboutissant à
la réalisation de 270 plans et une documentation de 10
centimètres.
Et chacun d'uvrer pour refaire et restaurer l'ensemble,
s'adjoignant les services de Jacques Reverdy, une des plus grands
maîtres horlogers de France, spécialisé dans
le médiéval.
D'autres sociétés sont venus , chacun dans son
domaine, comme Créa-Tech pour reproduire le cadran de
Jean d'Orléans, ou Méca-précis pour réaliser
de nombreuses pièces mécaniques.
Deux ans après la signature de la convention, au solstice
d'été, le 21 juin 1994, l'horloge fut remise en
marche, tous les acteurs de ce mécénat étaient
présents dans la cathédrale
. Et depuis, elle
fait la joie des Berruyers et des touristes.
Le buffet a été restauré,
et à l'intérieur, le mécanisme est une copie
strictement identique à l'original, et elle indique les
mêmes renseignements qu'en 1424, seule concession, il ne
faut plus remonter le mécanisme à la main, EDF
a mis l'électricité
.. Et à côté
de cette magnifique uvre, le mécanisme original
ainsi que le cadran ont été placés dans
une vitrine.
Berrichon ou touriste, lorsque vous parcourez
la cathédrale Saint Etienne de Bourges, faites une halte
dans la nef, vers la tour sud, et laissez vous conter l'histoire
de l'horloge astronomique de Jean Fusoris.
COMPLEMENTS
A la demande d'une étudiante, Alain
Bougelot a complété ce que nous savons sur André
Cassart, voici ce complément :
"SEMAINE RELIGIEUSE DU DIOCESE
DE BOURGES" N°42, 20 octobre 1923.
Page 604: "(
) A cette époque,
l'horloger proprement dit n'existait pas. Un mécanisme
d'horloge était exécuté par un serrurier
habile sur les plans, sous la direction d'un savant. Le mécanisme
(de l'horloge astronomique de Bourges) fut donc l'uvre
manuelle d'André Cassart (dans le même article,
l'on trouve les deux orthographes: Cassart et Cassard
),
mais sa conception est de Fusoris" (Cassart était
serrurier à Bourges).
Pour la lecture des cadrans, voir les "NOTES
SUR LA CATHEDRALE DE BOURGES"
Et puis dans cet ouvrage signé Emmanuel
POULLE.et intitulé "HOMMES ET TRAVAIL DU METAL DANS
LES VILLES MEDIEVALES" - A.E.D.E.H. 1988.
Page 65: " (
) Les artisans sont payés au fur
et à mesure de l'avancement des travaux, et sans doute
aussi compte tenu des rentrées d'argent. Le serrurier
est André Cassart: Andreas Cassrt serruriero qui fabricat
dictum horologium, bientôt désigné
comme magister horologii. Il touche en tout 69
l. 1 s. 8 d., en vingt paiements; du 4 mars au 4 novembre, non
comprises, naturellement, ses fournitures, fer et charbon, qui
sont généralement payées directement au
fournisseur. (
)
la qualification de "serrurier"
donnée à André Cassart visant alors davantage
le matériau qu'il travaillait que le métier qu'il
pratiquait. L'établir aussi comme horloger, c'est lui
reconnaître une clientèle. "
POUR EN SAVOIR ENCORE
PLUS, VOIRE LA NOUVELLE CONTRIBUTION DANS UN DOSSIER COMPLET
:
DOSSIER : CLIQUER
ICI
Le livre sur l'Horloge astronomique par Alain Bougelot et
Jean Yves Catoire est en vente depuis le 10 avril 2006, au prix
de 15 Euros.
a suivre