Les sculpteurs de Bourges ne sont pas
très nombreux. Dans un passé récent, La
Bouinotte a évoqué Emile Popineau ou Claude Alard
à qui l'on doit de très nombreuses uvres
érigées sur les lieux publics de la capitale du
Berry. Aujourd'hui, nous proposons à nos Internautes de
découvrir un des grands sculpteurs du XXe siècle
à Bourges, Louis Thébault, dont la ville peut d'enorgueillir.
Peu connu, il était d'une grande simplicité et
sa modestie l'a laissé quelque peu dans l'ombre.
Un sculpteur
inconnu ?
Tout commence en 1992, alors que j'écrivais
un petit ouvrage sur " Les Sculptures de Bourges",
celles que l'on peut trouver dans les lieux publics. Ainsi, au
fil des pages, le lecteur suivait Préault sculptant son
Jacques Cur de belle facture situé en face du palais
du Grand Argentier, puis Jean Baffier, régionaliste contesté
et auteur de l'Homme Taureau et d'un beau Louis XI, sans oublier
"Le paysan" de Jules Dalou une uvre majeure située
aux Prés Fichaux de Bourges.
Et c'est justement aux Prés Fichaux qu'en recherchant
les différentes statues que je découvrais un bronze
situé sur la grande pelouse. Il représentait un
berger gardant ses moutons, un sujet typiquement local. Malgré
toutes mes recherches, je ne trouvais pas le nom de cet artiste,
l'uvre n'étant pas signée.
A cette même époque et à deux reprises, en
compulsant des documents des années 1940, j'avais découvert
qu'Emile Popineau, qui laissa de nombreuses uvres à
Bourges avait travaillé pour sa frise en pierre de la
Maison de la Culture avec un "monsieur Thébaut",
ce que j'indiquais sans en savoir plus.
Plus tard, au printemps 2002, l'Office
de Tourisme de Bourges fêtait ses 100 ans, il était
né en 1902, et une partie de l'organisation de cet anniversaire
avait été confié à une jeune femme,
Catherine Thébault. C'est au cours d'une conversation
qu'elle me fit part, sachant mon intérêt pour le
XXe siècle à Bourges, de sa parenté avec
un Louis Thébault, sculpteur et s'étonna de ma
méconnaissance de cet artiste
.. qui était
tout simplement son arrière grand-père !
Je fus un peu confus de mon ignorance car
je pensais bien connaître tous les sculpteurs de Bourges
du XX e siècle. Aussi, peu à peu, comme en reconstituant
les pièces d'un puzzle, je retrouvais dans mes documents
personnels des uvres de Louis Thébault.
Ainsi, cette sculpture des Prés Fichaux, représentant
un cadran solaire, c'était de Louis Thébault. Et
puis, élu de la ville de Bourges, je célèbre
de manière très régulière des mariages
dans la salle de la mairie. A l'entrée de cette magnifique
pièce, qui fut la chapelle des archevêques de Bourges
avant 1910, trônaient deux bustes en bois représentant
deux maires de la Ville, Louis Pauliat et Eugène Brisson,
ils sont l'un et l'autre signés de Louis Thébault.
Sculpteur
local, modeste et attachant
Ainsi, Louis Thébault était-il
un sculpteur dont j'avais pendant 20 ans croisé des uvres
sans jamais prendre conscience de leur importance.
Louis Thébault est né le 28 avril 1880 à
Bourges, son père était menuisier et tout jeune,
pour faire comme papa, il sculpte du bois, il était assez
doué. Il n'a jamais quitté Bourges, sauf pendant
la première guerre mondiale. Il a été fait
prisonnier, et restera 3 ans en Prusse.
Il commence son apprentissage à
la fin du XIX e siècle, il est alors âgé
de 14 ans. Comme cela se faisait à l'époque, encore
gosse, il apprend un métier et il dira "mon maître
et patron a été Henri Jossant, artisan sculpteur
bien connu à Bourges". Il sera donc sculpteur pendant
plus de 50 ans. Il travaillera sur l'ensemble des matériaux
avec essentiellement la pierre et le bois, mais il fait aussi
du modelage : la terre et le plâtre. Il avait semble-t-il
une préférence pour le bois.
Pour faire vivre sa famille, Louis Thébault s'était
marié en 1905, il lui faut trouver une activité
complémentaire car ce métier de sculpteur ne nourrissait
pas toujours son monde, il devient professeur pendant une vingtaine
d'années à l'école des Beaux Arts de Bourges,
puisqu'il remplace son maître Henri Jossant à partir
de 1921.
Son atelier est situé à Bourges
à quelques pas de la cathédrale, très exactement
au 19 de la rue Nicolas Leblanc. Dans ce lieu le sculpteur travaille
sur des quantités d'uvres, avec beaucoup de médaillons
en plâtre, c'était avec le bois son genre favoris.
Mais il a fait de tout, la statuette, le buste, le bas-relief
etc.
Louis Thébault sera toujours avec
ses ciseaux et ses maillets. Même pendant son séjour
forcé en Prusse, pendant la guerre de 14-18, après
quelques mois comme cheminot il est repéré par
un architecte allemand qui l'emploie alors comme sculpteur !
Des oeuvres
très variées
L'uvre de Louis Thébault est
mal connue, essentiellement parce qu'il touche des types de sculptures
que le public ne met pas au plus haut de l'art. Il fait des bustes
en bois, se spécialise aussi dans la réalisation
de médaillons en plâtre, ce qui n'est pas très
"grands public", et enfin travaille de manière
presque anonyme à la décoration de plusieurs monuments,
il est un des grands sculpteurs de la cathédrale de Bourges,
Il participe à la restauration de plusieurs uvres
du moyen âge qui se dégradaient rapidement. On lui
doit, dans les années 1930 toutes les sculptures de l'Hôtel
des Postes. Ce magnifique monument de style néo-gothique,
situé au milieu de la rue Moyenne de Bourges est admiré
par de nombreux touristes, certains datant cet édifice
de la période de Jacques Cur
Enfin, il "aide" Emile Popineau dans la grande fresque
intitulée "La danse" sur le fronton de la Maison
de la Culture, mais seul le nom de Popineau est resté
dans le souvenir de quelques berruyers, Louis Thébault
est rarement cité. Comme ce dernier, il fera aussi quelques
monuments aux morts, dont celui de Crézancy dans le Cher
..
pour lequel il sera payé 7 ans après l'inauguration
du monument !
Il aimait faire des médaillons en
plâtre, comme celui consacré à Henri Ponroy,
président de la commission du Musée de Bourges,
ou de Paul Chenu, colonel spécialiste en numismatique
et descendant d'un orfèvre du duc Jean de Berry.
Parmi ses uvres statuaires, on note
pourtant de nombreuses pièces très variées.
C'est par exemple une série de plâtres comme "La
tête de fillette" ou le buste d'Eugène Martial,
rédacteur de la "Dépêche", sans
oublier des sculptures comme "la baigneuse" et la "jeune
femme", qui sont toutes deux en bois. C'était, à
la fin de sa vie, les deux sculptures préférées
de Louis Thébault.
Dans la longue liste de ses oeuvres, on note peu de bronzes,
sinon le cadran solaire daté de 1936 et destiné
aux Prés Fichaux.
Il obtiendra de nombreuses distinctions,
il expose au salon du "Mouciau" de manière régulière,
n'avait-il pas été un des membres fondateur de
cette école ? Il avait 24 ans et avec quelques autres
jeunes hommes, il était à l'origine de cette société,
qui fait toujours en 2003, le bonheur des artistes locaux.
Il est reçu par deux fois au Salon
des Artistes français et en 1929 il reçoit la médaille
d'Or du Meilleur Ouvrier de France, une distinction qui lui avait
fait le plus grand plaisir, car il s'agissait de reconnaître
la valeur d'un travail. Les deux statues qui lui avaient permis
d'obtenir cette distinction, il les avait gardé dans son
atelier, les montrant avec fierté à de rares visiteurs.
Il faut noter que ses uvres étaient
signées de son nom, mais en il signa à plusieurs
reprises avec Gaillot, qui était le nom de son épouse.
Consciencieux
et effacé
Il faut écouter Louis Thébault
lorsqu'en 1950, il reçoit un journaliste du Berry Républicain.
Il est un peu amère, "je travaille pour les marchands
de meubles, car à notre époque, on ne compte guère
de statuettes ou de portraits-médaillons".
En effet, dans cette après-guerre, il n'y a pas beaucoup
d'argent pour la création artistique provinciale et Laudier,
maire de la Ville et grand défenseur des sculpteurs a
disparu. Alors L. Thébault travaille pour subsister, et
lorsque le journaliste lui demande pourquoi il reste dans l'ombre,
il a cette réponse : "A quoi bon, à mon âge,
je n'ai plus guère besoin de publicité
..
je fais maintenant de la besogne".
Il travaillait, nous dit sa belle-fille
comme un artiste, "quant il avait envie de faire quelque
chose, il allait très vite". Toujours en biaude blanche
et portant chapeau, c'était un vrai personnage, comme
on les aime en Berry.
Louis Thébault meurt un 1er janvier de l'année
1960, il avait 80 ans, une vie consacrée à la sculpture.
Dans son oraison funèbre, Pierre Grosjean dira "C'était
un homme simple, un artiste, et un vrai, car il était
sans orgueil".
Ayant eu la chance de pouvoir visiter l'appartement de ses petits
enfants, je découvris un mobilier de toute beauté
réalisé par Louis Thébault. Les chaises
en bois sculpté, le buffet, les tableaux de bois, le tout
en style art-déco.
Il reste à organiser, un jour prochain,
au Musée du Berry ou ailleurs, une exposition, rappelant
à tous les berrichons qui était cet homme, si consciencieux
et très prolifique
Louis Thébault mériterait davantage de reconnaissance
de la part de sa ville natale, le nom d'une rue peut-être
?
- Merci à Catherine pour son aide
- Au cours du Conseil municipal de Bourges,
le 20 octobre 2006, le nom d'une rue "Louis Thébault"
a été proposée et acceptée à
l'unanimité du conseil. Cette sur se situe dans le quartier
de la route de Dun.
-
- Une lettre de monsieur Jean Marchal
de Sancoins :
-
" Vous avez
sorti de l'ombre, Louis Thébault, je vous en suis profondément
reconnaissant car j'ai été son élève
au cours de modelage à l'Ecole des Beaux Arts de Bourges
dès la Libération de la Ville en 1944. Je garde
un souvenir ému de l'homme et du praticien, mon maître
en la matière.
Après réflexion,
il me semble qu'il serait bon de constituer un comité
rassemblant les anciens élèves de l'Ecole des Beaux
Arts l'ayant connu. Le dernier carré porterait sur douze
à quinze personnes dont l'âge varie de 86 à
78 ans".
-
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