De
manière régulière, la presse et la télé
nationale mentionnent "que l'aide humanitaire envoyée
au Ruanda a été faite à l'aide de 2 Transall
de l'armée française". Autre dépêche,
quelques jours plus tard : "des soldats français
ont été envoyés au Kosovo à bord
de 3 Transall pour tenter de mettre un terme aux affrontements
qui ont fait plusieurs dizaines de victimes civiles", puis
c'est au lendemain d'un tremblement de terre qu'un Transall a
livré "plusieurs tonnes de médicaments".
Au fait, cet avion Transall, d'où sort-il ? Quant a-t-il
été fabriqué et à quelle époque
? Bien peu d'entre nous sont capables de dire haut et fort que
cet avion est typiquement berrichon, il est sorti des usines
de Bourges, et aussi de Châteauroux !
Comme pour la commémoration des
600 ans de la naissance de Charles VII, l'Encyclopédie
de Bourges ne pouvait pas laisser passer 2004 sans évoquer
cet avion Transall qui est le premier grand projet industriel
franco-allemand issu des accord politiques entre De Gaulle et
Adenauer en 1964. Il fallait alors un symbole de la grande réconciliation
et de la coopération "franche cette fois" vingt
ans après la dernière guerre qui avait vu s'opposer
ces deux pays. La réconciliation devait se produire aussi
sur le plan de l'industrie.
Un avion venu de nulle
part ?
Rendre à Bourges et aux berrichons
ce qui leur revient, ce n'est jamais simple. Pour cette commémoration,
tout commence à Paris, en 2002, au siège de ce
qui était Aérospatiale à la grande époque.
Claude Mouchy, alors Président de l'Amicale des retraités
de l'usine d'avions et de missiles de Bourges, avait reçu
une convocation afin de discuter du patrimoine historique dans
le domaine de l'aéronautique. Ne pouvant se rendre disponible
il m'envoya à cette réunion, pour l'intérêt
que je portait à l'Histoire de Bourges et aux avions.
Au cours de cette réunion qui rassemblait des personnes
des nouvelles sociétés en cours de fusion, Aérospatiale,
Matra, EADS, MBDA
. Etc, il fut question d'écrire
un livre sur la coopération franco-allemande dans le domaine
industriel, et une personne sensible au Patrimoine aéronautique,
suggéra qu'ils avaient pensé au Transall.
Et là, commença une discussion sur le Transall,
avion mythique, qui volait toujours et qui
.. avait été
fabriqué à Toulouse ! J'étais un peu étonné
par la tournure des débats, ayant commencé ma carrière
d'ingénieur à Bourges sur la chaîne d'assemblage
du Transall, c'était en 1968 . Je demande la parole et
je signale que le Transall a été fabriqué
pour la France, essentiellement à Bourges. Il y eut un
peu de flottement, et plusieurs personnes furent étonnées
de mon propos, mettant en doute ma parole. Fort heureusement,
le représentant de Méaulte petite usine d'aviation
de Picardie me vint en aide, et confirma, "Ah, oui, je me
souviens, on envoyait nos sous-ensembles à Bourges et
l'avion était effectivement monté la-bas pour être
mis en ordre de vol, souvent le premier vol emmenait l'avion
à Châteauroux".
Ouf, l'honneur du Berry était sauf,
mais cette anecdote démontrait que pour le milieu aéronautique
français, le Transall, comme tous les autres avions en
France ne pouvait sortir que des chaînes d'assemblage de
Toulouse. Il est vrai que la dernière tranche des 25 Transall
a effectivement été réalisés par
cette usine de Toulouse alors en perte de vitesse, occultant
ainsi la part prépondérante prise par Bourges.
Un avion franco-allemand
: le premier !
La véritable origine du "Transall"
se trouve dans l'élaboration, dès juin 1958, d'un
programme d'avion cargo militaire de 8 tonnes de charge utile.
Deux projets furent finalement retenus, dont celui de Nord Aviation
en France et de Weser F.B. en Allemagne.
Le bureau d'études qui allait concevoir le "Transall"
était en place avec les hommes du "Noratlas",
autre avion-cargo mythique produit à Bourges. Une véritable
communauté de travail était installée. Aux
firmes Nord Aviation et Weser F.B., s'étaient joints une
autre usine d'outre-Rhin appelée Hamburger F.B.
Bourges était alors une des usines
phares de Nord-Aviation et va donc tout mettre en place pour
construire cet avion. Ce cargo volant fut appelé Transall
C 160, ce qui signifiait "Transporteur-Alliance". Un
bâtiment pour le montage, de dimension impressionnantes
pour l'époque, sera construit à la sortie de Bourges,
le long de la route de Châteauroux, il mesure 200 mètres
de long et 50 mètres de large, et une hauteur pouvant
recevoir "la queue de l'avion" qui n'entrait dans aucun
local construit à cette époque.
En une année tout est prêt, et le 25 février
1965 le premier Transall, piloté par Lanvario, avec à
ses côtés Morville, atterrit pour la première
fois à Bourges. Un an plus tard, le premier avion sorti
des chaînes berruyères effectue son premier vol.
Cette activité, outre son intérêt sur le
plan technique, aura une influence énorme sur le comportement
des employés qui apprendront, souvent avant les autres,
à coopérer avec l'Allemagne sur de grands projets
industriels.
Au total, il sera construit 56 avions complets
et 169 voilures pour la série, il faut noter que Bourges
n'était qu'une des trois chaînes existantes, les
deux autres étant en Allemagne. Le dernier Transall sera
livré le 12 janvier 1973.
Les anecdotes des anciens
Comme le rappelle un ancien, des sous-traitants
parisiens venaient chercher du travail à Bourges, car
les usines du département ne pouvaient pas suffire aux
charges de travail sur le Transall et il fallait faire appel
à des entreprises plus lointaines. Parfois les interlocuteurs
venant de Paris étaient déroutés par le
vocabulaire utilisé localement. Les mots berrichons étaient
du style : "la pièce doit être en "cul
de bateau" et non pas en "toit de chiot", et encore
moins en "roue de berrouette".
Le tout avec un fort accent berrichon
.. Alors inutile de
parler de la traduction nécessaire avec les ouvriers et
techniciens allemands qui venaient en Berry pour des retouches
ou évoquer des problèmes techniques.
La vie dans une usine était faite
de travail, particulièrement minutieux et délicat
car un avion, ça vole et il faut qu'il soit de grande
qualité, il n'y a jamais eu d'accident à Bourges
pendant les 12 ans de production. Mais il y avait parfois de
bons moments, car la semaine de travail était plus proche
de 55 heures que de 35. Et les anciens se souviennent de ces
instants particuliers et conviviaux, ça se passe dans
les années 1970 : " Il y avait des arrosages, ça
se faisait, c'était obligatoire. On avait un poêle,
c'était l'hiver, de temps en temps nous allions nous réchauffer
autour du poêle. J'avais dit aux copains pour la saint
Roger je ne vais pas vous payer à boire, je vous amènerai
des harengs! J'en avais apporté 32 et le magasinier les
a faits sur le poêle, dans le bâtiment de piste çà
se sentait bien".
Et dans la moitié de l'usine régnait une odeur
de harengs grillés qui avait remplacée celle de
l'huile de coupe utilisées sur les tours et les fraiseuses
.
Pendant une douzaine d'années, Bourges
et Châteauroux vont vivrent au rythme du Transall, découvrant
la coopération franco-allemande sur le terrain, deux décennies
après la guerre, qui avait laissé des traces cruelles
dans les usines d'avions qui avaient produits, sous la conduite
d'une direction allemande très dure, des avions portant
la croix gammée.
Le Transall dans le ciel
berrichon
Il fallait voir le Transall dans le ciel
berrichon, magnifique avion, caractéristique, avec ses
ailes hautes, ses deux moteurs et une partie arrières
conçues pour larguer en vol des parachutistes ou des camionnettes.
Quand il y avait un ennui en vol, tout le monde était
sur le pont !, çà pouvait être un ennui de
fabrication, une erreur sur un instrument de bord, des soucis
de dépouillement de vol. Les pilotes volaient quand ils
voulaient, le jour, la nuit. Un homme de la piste, "un pistard"
se souvient : "A Bourges et à Châteauroux ,
sur les premiers vols, sur le nombre d'années, il n'y
a jamais eu de gros problèmes en vol, çà
veut dire que la qualité, la fiabilité, c'était
quand même quelque chose de performant".
La présence de techniciens allemands
à Bourges devenait classique et ne posait plus de problème,
ils venaient de Hambourg ou de Brême. L'un de leurs représentants
en France, était devenu un vrai berrichon et réglait
les problèmes techniques très rapidement : Si on
avait un problème , un truc qui ne se montait pas comme
une vis trop courte
le jour même il nous trouvait
la solution. Alors lui Chapeau !" .
Un autre cadre de Bourges estime que nos relations ont toujours
été bonnes, voire amicales : " Et le soir
en cours de dîner, certains allemands nous faisaient des
confidences. Ainsi l'un d'eux nous racontait son passage à
Paris pendant la guerre à l'Arsenal, qui est devenu depuis
Nord Aviation Châtillon. Un autre nous a raconté
également sa fuite à la fin de la guerre avec son
équipe pour le Brésil, puis son retour à
Brême pour relancer l'industrie aéronautique allemande."

Châteauroux recevait le Transall après son premier
vol et les essais de piste. Avant la livraison aux armées,
françaises ou allemandes ou d'Afrique du Sud, le Transall
était peint dans une immense salle située à
Déols pour être entièrement peint.
Aujourd'hui, 40 ans après le début
de cette commémoration, comment ne pas penser que le succès
considérable des fabrications européennes d'Airbus,
a commencé, de manière discrète à
Bourges. Les berrichons furent des pionniers, ils ne le savent
pas ! C'est pourquoi, Transall, qui fut une belle aventure pour
des milliers de personnes à Bourges et Châteauroux,.
Ue livre de 160 pages avec beaucoup de photos a retracé
l'histoire de cet avion berrichon, écrit par les anciens
qui ont vécu ces moments,
A suivre l'actualité avec l'ARCAB,
l'association des Retraités et conjoints de l'Aérospatiale
de Bourges
http://arcab.bourges.net/ 1
Rue Le Brix - 18000 Bourges.