La Ville de Bourges, et le département du
Cher vont avoir, au cours de l'Histoire une importance considérable
sur l'industrie aéronautique et sur la stratégie
militaire avec la base d'Avord.
A Bourges, à
partir de 1928, une école puis une grande industrie vont
croître au fil des décennies. Des avions mythiques
sortiront des chaînes d'assemblage des Ets HANRIOT qui
deviendront la SNCAC, SNCAN, NORD-AVIATION et AEROSPATIALE. (aujourd'hui
MBDA)
Mais avant d'évoquer cette période
à Bourges, il est nécessaire de faire le point
sur les débuts des avions dans le monde.
L'ARRIVEE DU PLUS LOURD QUE L'AIR
Le contexte, avant de parler de Bourges
avec, dans les années 1850 / 1890 des études sur
le plus lourd que l'air, en modèles réduits
.
9 octobre 1890 : Clément Ader sur Eole dans le parc
du château d'Armainvilliers sur une piste de 200 mètres
de longueur soulève de quelques centimètres sur
50 mètres, un plus lourd que l'air. ( 252 Kg, L 4,6
m, env 13 m)
14 octobre 1897 : Clément Ader sur Avion III, 361 kg,
48 Cv, 2 hélices, 2 moteurs à alcool, il quitte
le sol à Satory sur 300 m mais il est déporté
par une bourrasque et s'écrase.
Mais les débuts
de l'aviation, c'est un lutte entre la France et les Etats Unis.
17 décembre 1903, les frères
Wright, Orville et Wilbur font 4 vols sur Flyer, à Kitty
Hawk.(env 12 m, L 6,4 m et masse maximum de 340 Kg, vitesse de
48 km/h)
De cette date à la Grande Guerre,
c'est en 10 ans, l'émergence de l'aviation, à une
vitesse considérable. Sur des machines presque identiques,
ce sont d'incessants concours de distance, de vitesse.
- 1908 = Farman parcourt 1 km en circuit
fermé.
- 1909 = tentatives pour franchir la Manche, Latham, Blériot
le 25 juillet , traverse en 38 minutes sur son avion Blériot
XI.
- 22 août = premier meeting aérien à Reims.
- 1910, altitude de 1000 mètres atteinte par Latham.,
la vitesse avoisine 100 km/h
Premier meeting aérien à
Bourges, en 1910, ce sont les balbutiements de l'aviation et
France, et Bourges n'est pas à l'écart de ces préoccupations.
Deux dates importantes pour Bourges et
le Cher, dans le domaine de l'aéronautique :
- 1910 / 1912
- 1927 / 1928
L'avion à Bourges passe tout de
même après l'automobile et les gens qui vont s'intéresser
aux avions sont avant tout des fanatiques de la voiture. Il y
a une symbiose entre l'auto et l'avion avec une exposition automobile
organisée par l'automobile club du Centre, et en plus
des démonstrations de vols en ballon, place Juranville,
avec Vernanchet, Laudier et J.L. Breton.
Enfin, le 19 août 1909, le Prince
d'Arembert, Conseiller général, président
de l'ACC, déclare :
"Compte
tenu du développement de l'aviation, je propose que le
Cher soit au premier rang dans ce développement avec la
région de Avord, Baugy et Néronde".
Une vue très
moderne.
LE MEETING AERIEN DE 1910
- L'année 1910 est fondamental pour
l'arrivée des avions dans le Cher. Ainsi, le 5 janvier,
ce sont les inondations et....avec les "eaux" , un
avion, le Blériot XI est exposé au garage du Centre,
avec la Demoiselle de Santos Dumont.
Deux mois plus tard, en mars 1910, des
commissions se réunissent pour le centre d'Avord avec
deux personnalités locales : le prince d'Arembert et le
banquier Albert Hervet, pour ces personnes, Avord sera le
Saumur de l'aviation.
En Octobre 1910
se déroule le premier meeting aérien avec Bielovucic
sur biplan Voisin.
Cette manifestation fut organisée
par l'A.C.C., (Automobile Club du Centre), présidée
par un des "grands" du département, le Prince
d'Arembert. Elle se déroula sur le terrain du polygone
d'artillerie, car il n'y avait pas d'aérodrome à
Bourges, et Avord était un champ de manoeuvres pour fantassins.
C'est ainsi que cinq avions arrivèrent par ... chemin
de fer. Le 20 octobre 1910, devant une foule évaluée
à 40 000 personnes, malgré un temps maussade, le
premier aviateur à s'envoler de Bourges, à bord
d'un avion de type biplan Voisin fut Jean Bielovucic, un péruvien
qui évolua au dessus de la cathédrale de Bourges.
Avec Bielovucic, il y eut des prestations
de Breggi, Paillette, Jullerot et du malheureux Blanchard. Ce
dernier, en effet, en revenant sur Paris à l'issue de
ce meeting s'écrasera à l'atterrissage à
Issy-les-Moulineaux : il y trouvera la mort.
Durant ces 4 jours de fête, un certain
nombre de personnalités locales effectueront leur baptême
de l'air, comme M. Pillivuyt, le patron des Etablissements de
porcelaine de Mehun. A cette époque, nul ne songeait que
deux années plus tard, naîtrait la base d'aviation
d'Avord, ni, en 1928, le début de l'industrie aéronautique
à Bourges. En 1910, l'avion, c'est avant tout un merveilleux
spectacle pour les yeux, avec en prime, l'émotion.
Pourtant, 1910 marque pour le Cher et Bourges,
une étape décisive, les personnalités locales,
d'Arembert, Hervet, Groussot touchent de près le milieu
de l'aviation, cette connaissance aura des suites.
Des trains entiers ont déversé
des milliers de visiteurs pour cette fête qui commence
enfin. Un cortège qui commence à s'ébranler,
avec un char : celui des forgerons. Puis les "gars du Berry"
suivent et à leur tête, Jean Baffier, le grand sculpteur
et régionaliste en costume d'époque, barbe au vent
... Plus loin le char du Berry.
Ainsi se déroulait la vie à
Bourges, avec ses fêtes, traditionnelles ou plus originales.
C'est aussi le milieu de l'industrie et du commerce qui commence
à s'organiser, avec la première vague de concentration
de la population vers la capitale du Berry. Les "décideurs"
du département en profitent pour construire une C.C.I.
que certains qualifient de "new-look".
LA BASE D'AVORD
La base d'aviation d'Avord située
à 20 kilomètres de Bourges n'avait que 2 ans d'existence
à la déclaration de la guerre. Elle va devenir
le plus grand centre européen de formation de pilotes.
Dans une publication, le Capitaine Morgat a parfaitement traité
cette période relative à la naissance d'Avord.
C'est par la volonté du Président de la Chambre
de Commerce, le banquier Albert Hervet, aidé du Prince
d'Arembert, que se constitue un dossier visant à installer
une école d'aéronautique dans le département,
et cela, dès 1910. Les autorités locales du Cher,
le 12 mai se mettent d'accord pour soumettre un dossier au Ministère
afin que le Camp d'Avord devienne, en plus d'une garnison d'infanterie,
un champ d'aviation.
Tout se jouera lors d'une visite impromptue à Avord du
Ministre de la guerre, Millerand, accompagné par le Chef
d'Etat Major, Joffre. Ils sont venus assister à des tirs
d'obus à la mélinite, et, sur leur lancée,
ils vont visiter le site d'Avord. Quelques temps plus tard, Avord
devient la 9e école d'aviation en France.
Pendant la guerre de 1914, la base se
structurera, il y aura jusqu'à 1300 avions en permanence,
1000 élèves pilotes et 3000 mécaniciens.
Ces chiffres sont éloquents. Tous les AS de la Guerre
sont passés par le Cher : Guynemer, Nungesser, Bourgeade,
Haegelen, Fonck et beaucoup d'autres.
LA BATAILLE POUR UN AEROPORT A BOURGES
Ce combat de Laudier pour créer
à Bourges une industrie aéronautique est sans aucun
doute sa plus grande fierté. Lui, l'ancien verrier, syndicaliste
extrémiste, va rechercher des alliés objectifs
mais d'un tout autre bord que lui, pour obtenir ce qui deviendra
une grande industrie.
Il aura dans cette aventure, de la chance,
de l'opportunité et de la volonté. Au départ,
Laudier rencontre un aviateur de passage à Bourges, Marcel
Haegelen. Ce pilote, venu en Berry, un soir de novembre 1927,
est un As de la Grande Guerre, il travaille aux Etablissements
Hanriot, une firme spécialisée dans la fabrication
des avions, et lorsqu'elle vend des avions, il lui est nécessaire
de former les pilotes des clients dans une école de pilotage.
Comme l'Ecole Hanriot est à Reims, les directives gouvernementales
les incitent à se délocaliser au sud de la Loire.
C'est pourquoi Haegelen, pour le compte des Avions Hanriot, recherche
dans le centre de la France un terrain plat pour implanter son
école de pilotage.
La rencontre d'Haegelen en Berry avec les autorités municipales
va être décisive. Laudier écrira plus tard
: "ce fut pour moi, une foudroyante révélation".
En quelques semaines, les autorisations sont données,
les terrains achetés, les accords entre la ville et les
Etablissements Hanriot signés. La convention est un modèle
du genre, elle est précise mais laisse la porte à
des aménagements futurs.
Tout ne fut pas simple,
il a été nécessaire de trouver de l'argent,
d'une part pour acheter les terrains, et d'autre part pour les
aménager. Tout le monde a mis "la main à la
pâte". La Municipalité de Bourges a voté
sans difficulté de quiconque un premier crédit
de 100 000 francs, elle fut suivie par le Conseil Général
et la Chambre de Commerce et d'Industrie pour le même montant.
Comme le budget prévisionnel était de 500 000 francs,
la somme manquante sera reçue sous forme d'une souscription
organisée par l'Aéro-Club ! Une belle unanimité
que chacun se devrait de méditer.
Et ce fut le grand jour : le dimanche
1er Juillet 1928, l'Aéroport est inauguré. La foule
est impressionnante, les berruyers se rendent vers l'Aéroport
au son des fanfares et derrière les sociétés
de gymnastique. En fait, l'Aéroport, c'est une vaste étendue
de 90 hectares de terrain herbeux, sans piste, mais avec déjà
trois bâtiments "en dur" pour que les cours puissent
commencer dès le mois d'août.
Après une "Marseillaise",
deux gerbes furent remises par Madame Laudier, l'une au Général
Girot, cet ancien Directeur de l'Aviation, était alors
Président du Conseil d'Administration des Etablissements
Hanriot, l'autre au pilote Marcel Haegelen. Et puis vint l'heure
des discours, avec Laudier qui ouvrit le feu, juché sur
un "cuvier", son propos fut précis et lucide
:
" Quiconque
se serait permis d'affirmer, il y a un peu plus de six mois,
que nous verrions aujourd'hui, en ce beau premier jour de juillet,
l'inauguration de l'Aéroport de Bourges, eut bien surpris
nos concitoyens qui - il faut bien le reconnaître, et c'est
du reste un peu la vertu de la race - ne se décident à
agir qu'après avoir mûrement réfléchi."
Le Maire de Bourges poursuit alors avec
un rappel historique très documenté sur l'arrivée
de l'aéronautique dans le département du Cher,
et principalement à Avord, avant d'évoquer Bourges.
Il continue alors par les remerciements d'usage envers les représentants
de la Maison Hanriot : M. le Général Girot, M.
Outhenin-Challandre le Directeur, puis Haegelen, Sterckx, Huget,
Hullin et Dabard, ce dernier devenant le Directeur de l'Ecole
de Bourges.
La conclusion de Laudier est toute aussi pertinente par rapport
à ce qu'il pense de ses concitoyens :
"Pour une fois,
la vieille force d'inertie berrichonne a été vaincue
par la ténacité et j'ose m'en féliciter,
au nom même de tous nos concitoyens, car ils ont maintenant
compris les bienfaits que peut attendre la Ville de Bourges de
son Aéroport. C'est un lustre nouveau pour notre cité
antique, un lustre qui lui revenait de plein droit, à
la croisée des routes internationales. Mais c'est surtout
du point de vue de son activité commerciale et de sa prospérité
économique que notre Ville, un peu trop morte, peut être
appelée à bénéficier de la création
de cet Aéroport. La cité des Bituriges et coeur
de la France peut s'enorgueillir de doter le pays non point d'un
des premiers, mais d'un des plus importants Aéroports
qui, demain, jalonneront les routes aériennes. Bourges
vient de marquer sa place sur la carte aérienne mondiale."
Il y avait, dans ce discours, un côté
quelque peu grandiloquent, car l'Aéroport, pour l'instant,
ce n'était qu'un bout de terre, et trois baraquements
pouvant recevoir 12 élèves pilotes.... Mais Laudier
voyait juste, au fil des années, si la fonction commerciale
ne va pas beaucoup se développer, l'industrie aéronautique,
par contre va devenir pour la région, une activité
de première importance.
L'inauguration, après d'autres longs discours des personnalités
présentes, se terminera par la présentation de
quelques avions, qui serviront à l'école, puis
le Préfet du Cher, M. Atger effectuera son baptême
de l'air sur un avion piloté par M. Dabard.
Quelques jours plus tard, Laudier recevra une lettre de félicitation
signée du Maréchal Lyautey, ce dernier insistant
sur "Bourges qui servira d'exemple, en montrant la
voie à suivre à celles de nos régions françaises
qui tardent encore à s'intéresser au développement
de notre aviation commerciale".
Ainsi, en ce milieu d'année 1928, c'est l'euphorie à
Bourges, elle sera de courte durée, un gigantesque incendie
va endommager la Ville, et ramener les autorités à
des préoccupations plus terre-à-terre.
"De Hanriot à
L'Aérospatiale" de Roland Narboux
L'AEROGARE DE BOURGES
Depuis le 1er juillet 1928, les avions
font partie du décor habituel des berruyers. Ces derniers
viennent en promenade voir évoluer les Potez 25 et autres
Hanriot 431 utilisés par les stagiaires de l'Ecole de
Pilotage Hanriot, dirigée par Monsieur Henri Dabard.
Progressivement, l'école s'est étoffée,
une nouvelle Convention avec la Ville a permis en 1930 de commencer
la construction d'avions, dans les mêmes hangars que ceux
qui étaient utilisés pour les réparations.
Les premières fabrications d'avions comporteront des assemblages
de sous-ensembles de Potez 25, en particulier les ailes extrêmes,
puis le fuselage, et, bientôt, l'avion tout entier. Par
la suite, des avions, Bloch, c'est à dire conçus
par le futur Marcel Dassault, enfin, seulement, des avions Hanriot.
L'industrie aéronautique prend corps à Bourges.
Et les responsables locaux sentant que l'aviation avait un réel
avenir, ont multiplié les initiatives.
Le 19 février 1931, la foule
berruyère attend et ovationne les héros de l'Atlantique
: Costes et Bellonte. Il sont accompagnés
du Président de l'Aéro-Club, Monsieur Henri Hervet,
à ses côtés Pelletier-Doisy. Ils sont reçus
au Conseil Général par le Président Gestat,
avant de participer à une conférence au Grand Palais,
ils racontent leurs mille et une aventures. L'avion est toujours
aussi populaire en Berry.
Après l'Aéroport, installé
en 1928, tout ira très vite, et le 15 juillet 1934, c'est
un autre grand moment pour la Ville de Bourges et le Berry tout
entier : Le Ministre de l'Air, le Général Denain
vient inaugurer l'Aérogare de Bourges. C'est en effet un nouveau bâtiment qui a
surgi dans ce quartier. Il évolue à tout instant
et se transforme semaine après semaine. On avance la somme
de 20 millions de francs d'investissements pour l'ensemble des
installations. Avec cet Aérogare, c'est la promesse d'avoir
des liaisons régulières aériennes. Bourges
est parfaitement situé entre Paris et Toulouse d'une part,
entre l'Atlantique et l'Europe Centrale d'autre part. Pourtant
certains, en ce mois de juillet 34, s'interrogent : "Peut-être
que l'on a mis la charrue devant les boeufs et que le futur Chef
de Gare risque fort de n'avoir pas de train". C'est
une belle vision qui s'avérera malheureusement prophétique
pour le Berry.
UN
AVION NOMME "BOURGES"
- Il y a quelques temps, Alain Bougelot
avais lancé un appel dans une revue d'aviation ("Le
Trait d'union". J'avais découvert dans une encyclopédie
achetée, qu'un avion anglais, le Boulton-Paul P-7 avait
été baptisé du surnom "Bourges"
(seuls 3 exemplaires furent construits en 1918). Cette désignation
m'avait intrigué.
Je reçois ce jour (15 mai 2007) un courrier d'un habitant
de Nice (M. Romano Barbera), sur la base d'informations puisées
dans un ouvrage anglais " Boulton-Paul Aircraft since 1915"
dont je vous fais un résumé:
"Je peux vous confirmer que l'appellation "Bourges"
est bien associée au nom de la ville française.
La raison de ce choix n'est pas claire, mais le livre fait mention
d'une certaine "mode" de l'époque dans les constructeurs
britanniques, de donner aux avions des noms de villes françaises.
(...) En ce qui concerne le "Bourges" il parle des
difficultés des ouvriers anglais à prononcer ce
nom. (...) Il faudrait peut-être voir si dans la 1ère
GM la RAF (qui n'existait pas sous ce nom à l'époque)
a eu des unités stationnées à Bourges".
J'espère avoir d'autres précisions. Mais cela me
paraît amusant et digne de figurer dans votre "Encyclopédie
de Bourges". signé Alain Bougelot.