1900,
Cette année-là, Victor-Eugène Ardouin-Dumazet,
voyageur célèbre et auteur de guides touristiques,
visitait le Berry en chemin de fer. " De Bourges à
Vierzon, écrivait-il, les bords de l'Yèvre sont
une chaîne de fabriques. On voit encore fumer les cheminées
géantes des arsenaux de Bourges et déjà,
à la jonction des lignes de Montluçon et de Saincaize,
planent les vapeurs d'une usine (
). Mehun, centre rural,
s'est transformé en cité de manufactures. On n'y
comptait pas 2500 habitants en 1830, aujourd'hui il y en a plus
de 6000, se consacrant presque tous à la porcelaine1 ".
Le Cher était " naguère le département
français qui fournissait la plus grande quantité
de minerai de fer (
) c'est aux environs de Dun que les
mines étaient les plus productives du département.
L'exploitation se faisait par puits profonds de 40 mètres,
à l'aide de galeries et aussi à ciel ouvert2 ".
Des gisements de fer rentables existaient aussi à l'ouest
de Bourges et dans le Val d'Aubois. L'activité minière
était à l'origine de l'industrialisation du département
mais cet avantage disparut dans la seconde partie du XIXe siècle.
Des traités de commerce avec l'Angleterre, la Belgique
et la Suède mirent hors-jeu l'extraction berrichonne,
moins rentable. Le chemin de fer et le canal qui, dans un premier
temps avaient stimulés l'activité autour de l'axe
Vierzon-Bourges, favorisaient maintenant le commerce des produits
moins coûteux avec l'extérieur. En 1870, il ne restait
plus que cinq hauts fourneaux en sursis dans le département.
Cet élan brisé des "
usines à fer ", comme on disait alors, allait-il
compromettre le développement industriel de notre belle
province ? Pas du tout. Conscients qu'une époque était
en train de s'achever, les entrepreneurs berrichons amorcèrent
juste à temps la reconversion vers la métallurgie
de transformation et la mécanique. De nouvelles usines
s'installaient à proximité du canal et de la voie
ferrée, de Bourges jusqu'à Vierzon, avec un développement
de proximité autour de St-Florent. L'Empereur Napoléon
III apporta sa pierre à l'édifice en implantant
à Bourges un complexe militaire composé d'une fonderie
de canons, d'un arsenal (construction de matériels pour
l'artillerie), d'une fabrication d'explosifs et d'une école
militaire spécialisée, la Pyrotechnie. Rapidement,
la nouvelle métallurgie devint l'élément
moteur d'un " triangle industriel " Bourges - St-Florent-
Vierzon. Sur place, dans diverses usines complémentaires
les unes des autres, on pratiquait le décolletage (fabrication
de quincaillerie), la tréfilerie (fil de fer), la production
de matériel ferroviaire, de machines agricoles et d'ustensiles
ménagers. Avec de vraies réussites réputées
bien au-delà du Berry, comme celle de Rosières,
près de St-Florent, spécialiste des cuisinières
et poêles en fonte, le Matériel Agricole de Célestin
Gérard (Vierzon) créateur de la première
machine à vapeur locomobile et le vierzonnais Charles
Brouhot, célèbre constructeur d'automobiles3.
" La croissance n'apparaît pas
partout à la fois, professait François Perroux4
; elle se manifeste en des pôles avec des intensités
variables puis se répand en divers canaux ". Dans
le triangle industriel, c'est la nouvelle métallurgie
qui a donné l'élan. Puis, dans la foulée,
Charles Pillivuyt ouvrait à Mehun-sur-Yèvre, près
du canal, l'une des plus importantes usines de porcelaine de
France. Alexis Larchevêque lançait un projet du
même ordre à Vierzon quelques mois plus tard. D'autres
suivaient. En 1900, la porcelaine est devenue le deuxième
secteur industriel du Cher. Mais ce n'est pas tout. D'autres
activités, menacées dix ans plus tôt, se
sont maintenues ; d'autres enfin ont été créées.
A l'aube du XXe siècle, un véritable tissu industriel,
dont l'axe Bourges-Vierzon n'est que l'épicentre, couvre
le département du Cher : une verrerie à Vierzon,
une brasserie à Bourges, des tuileries et briqueteries
un peu partout, 75 moulins à vent et plus de 500 moulins
à eau, des tanneries à Bourges, St-Amand et Sancerre,
des huileries, des filatures de laine, des chapelleries et même
une fabrique de chaussures. Et tout ça " made in
France ", mieux encore, " made in Berry " ! Chez
nous comme ailleurs, une période de prospérité
succédait à la grande dépression 1875-1895.
Plus tard, on appellera ce temps, que l'on ne retrouve plus de
nos jours, " la Belle Epoque ".
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1 Victor-Eugène Ardouin-Dumazet, Voyage en France, tome
26, Ed. Berger-Levrault, 1901. 2 Adolphe Joanne, Géographie
du Cher, Hachette 1886. 3 Second
paragraphe, d'après Alain Gardant et al.., l'Industrie
entre Bourges, Vierzon et Saint-Florentin de 1781 à 1939,
Conseil Général du Cher, 2001. 4 Economiste (1903-1987),
célèbre au XXe siècle.