Une des plus
belles demeures de la ville de Bourges, située aujourd'hui
rue Gambon et donc dans le quartier Saint Sulpice est la maison
de la Reine Blanche. La qualité de ses sculptures, même
endommagées par le temps et le manque d'entretien en font
un élément majeur du patrimoine de Bourges.
Définition de la maison de
la Reine Blanche
La question
posée, c'est de savoir qui a pu faire construire cette
maison magnifique, située sensiblement à l'emplacement
du départ de l'incendie de 1487 ?
Tout d'abord personne ne sait d'où provient le nom de
Reine Blanche. Pour certain, Blanche c'est "Blanche de Castille",
pour d'autres, c'est l'enseigne d'une Auberge qui portait ce
nom. Mais il ne faut pas oublier que l'Ordre des Chevaliers de
la Table Ronde fondé en 1486 à Bourges et dont
faisait sans doute partie Ursin de Sausay, le président
de cet ordre, le Grand Maître, se faisait appeler "le
Roi". Une piste à suivre.
La façade est classée
au titre des Monuments Historiques depuis 1911.
Cette maison est située au 17/19
de la rue Gambon, elle est exceptionnelle par la richesse de
son décors de façade. Elle fut construite, mais
ce n'est pas une certitude, par Ursin de Sauzay, qui fut échevin
de Bourges, nous dirions aujourd'hui, maire-adjoint. On le trouve
sur les documents comme échevin en 1484, puis de 1492
à 1497, et sa mort se situe avant la date de 1503.
Pour certains, le blason qui figure au dessus de la cheminée
située au premier étage est celui de la famille
de Sauzais. La ressemblance n'est pas acquise. Il y a semble-t-il
de fortes différences.
Ces armoiries, de Sauzay sont "d'azur à la tour d'argent
maçonnée de sable élevé sur une motte
de sinople".
Les deux hommes sauvages qui portent le blason, on les trouve
aussi au château de Meilland. Ils étaient alors
le symbole de l'ours. Comme pour Jean de Berry, on peut donc
penser que l'ours, c'est aussi Ursin, le nom du propriétaire
de la Dame Blanche. Sur ces armoiries, on trouve au dessus de
l'écusson, un arbre qui est un pommier.
Sur la maison, de récentes études
de dendrochronologie donnent une année de construction
de 1488 ou l'année suivante. Ce qui étaie les hypothèses
d'une construction immédiate après le Grand incendie
de 1487.
Cette maison est située dans le
quartier des marchands et artisans qui travaillent la laine et
le drap à proximité de la rivière l'Yèvrette,
comme le père de Jacques Cur un demi-siècle
plus tôt. C'était une aristocratie locale de gens
riches et travailleurs qui comptaient à Bourges. De vrais
bourgeois. Le jour de la Fête Dieu, ce seraient ces marchands
aisés qui tiendraient le rôle des apôtres
dans la procession solennelle qui parcourait les rues de la cité
dans un cortège emmené par les échevins.
La maison comprenait alors un étage
de plus qui a été détruit il y a fort longtemps,
on peut penser qu'il a été détruit au XVII
e siècle. Ce qui est certain, c'est que Jules Dumoutet
le grand sculpteur local en fait le dessin en 1850, et l'étage
a disparu. Tout comme Buhot de Kersers à une époque
identique.
La façade :
Elle est remarquable par ses quatre poteaux
de bois, torsadés, avec un bel encorbellement en relief
comme de décrit dans les Maisons en pan de bois, Annie
Chazelle.
On trouve
des figures religieuses en bois, ainsi que des scènes
joyeuses de la vie de tous les jours. Ainsi, on peut détailler
:
Un moine dont on voit la tête et surtout le ventre, il
pourrait faire une belle pub pour du camembert.
Des personnages, deux à deux qui dansent joyeusement,
le tout dans un beau feuillage.
Des sculptures religieuses, avec en particulier, comme dans l'Hôtel
Jacques Cur, une Annonciation, avec la vierge et l'archange
Gabriel qui tient un lys. Une autre scène plus discutable
venant d'un Evangile apocryphe, représentant les parents
de la vierge Marie, c'est Anne et Joachim. Ils se sont rencontré
à la porte dorée. Ce thème abandonné
aujourd'hui était assez populaire au Moyen Age.
Toujours dans les scènes religieuses, le livre ouvert
de la connaissance tenu par un homme qui pourrait symboliser
le sermon sur la montagne
. Ou le Christ au jardin des Oliviers,
puisque l'on voit à l'arrière une montagne. Enfin
une scène plus certaine avec Saint Martin et son manteau.
La maison est en bois de chêne, et
elle fut transformée en 1930, car il existe aujourd'hui
sur la façade, des arcs qui n'existaient pas dans les
années 1850.
A l'intérieur de la Maison, au rez-de-chaussée,
une grande cheminée, avec des sculptures, de même
au premier et au second étage, des cheminées dont
celle des écussons.
La famille de Sauzay à Bourges est importante, ils sont
barons de Contremoret et s'installent à Bourges rue Saint-Sulpice
une fois passé l'incendie de 1487. C'était un des
grands axes de la ville.
Parmi les membres de la famille de Sauzay,
signalons en 1474, Guillaume alors administrateur de l'Hôtel
Dieu et il fut un des partisans de Louis XI dans la querelle
qui opposa violemment le roi à l'équipe municipale.
Le roi remplaça l'équipe en place qui avait été
élue par une autre à sa dévotion, et Guillaume
de Sauzay fut de cette nouvelle équipe pour qui la fermeté
était la règle.
Complément:
On ne peut pas évoquer la Maison
de la Reine Blanche sans parler des voisins, c'est à dire
Jean de Cucharmoy, et des Chevaliers de la Table Ronde de Bourges.
Jean de Cucharmoy
Il habitait dit-on une maison particulièrement somptueuse,
puisque la rumeur publique la nommait "le petit Louvre".
Elle jouxtait par l'arrière, la maison de la reine blanche
et selon Chevalier de Saint Amand, cette dernière appartenait
aussi à Jean de Cucharmoy.
En 1498, un procès, comme il y en
a beaucoup à cette époque, oppose Jean de Cucharmois
le lyonnais à ses voisins qui habitaient aussi la rue
Saint Sulpice pour une sombre affaire de terrains qui "donnaient
sur la rue Crèvecoeur". Cette rue coupait le quartier
en deux à hauteur de ce qui fut construit au début
du XX e siècle pour la chambre de Commerce.
Et une fois encore, Jean Yves Ribault, qui a travaillé
le sujet, nous dit que les voisins en procès avec Jean
de Cucharmoy n'étaient autres de Ursin et Phillipon de
Sauzais.
Donc hormis le litige du blason de la cheminée
qui date bien du début du XIV siècle et qui ne
correspond pas totalement au blason des de Sauzais, tout concorde
pour attribuer la maison de la reine blanche à cette famille.
Ursin devint à plusieurs reprise
échevin de Bourges,
La question qui se pose est double, tout
d'abord, Ursin fut-t-il membre de la table Ronde ?, ce n'est
pas évident. La Thaumassière l'affirme , mais Chenu
et Laugardière au vu des manuscrits qui ont été
consultés à Londres, ne disent pas. Est-ce par
oubli ? ou qu'il y a des difficultés de lecture, nous
ne le savons pas.
Pour certains, un litige entre le fondateur
de l'Ordre et un des membres est qualifié "d'étrange",
mais là, il y a une méconnaissance des sociétés
secrètes et des ordres, car même si les devises
sont du type "utilité, amour et union des frères",
cela ne peut pas empêcher les conflits et parfois les haines.
Dernier aspect, cette fois en écoutant
ceux qui ont étudié les sculptures en bois, la
symbolique est essentiellement religieuse, tournée vers
la Vierge et Notre Dame, mais elle ferait une magnifique bâtisse
pour les Chevaliers de la table Ronde.
Il y a donc aujourd'hui encore un mystère
de cette maison.
Complément de Cécile Bulté
qui étudie de manière très approfondie cette
demeure
(Tout d'abord je vous remercie,
vous et la mairie de Bourges, pour le prêt de la nacelle
le 31 janvier dernier: le relevé et la campagne photos
ont pu être menés à bien, et dans des conditions
idéales.)
Je voulais aussi vous faire part de
quelques points au sujet de la Reine Blanche. Le premier concerne
le problème des armoiries de la cheminée, qui ne
ressemblent pas tout à fait à celles de la famille
de Sauzay: seul l'aîné d'un
lignage porte les armoiries complètes de sa famille; dans
le cas des Sauzay, l'aîné est Guillaume, et Ursin
est son fils: l'absence des deux étoiles et les trois
tours au lieu d'une sur les armoiries de la cheminée montre
qu'il ne s'agit pas là du blason du père de la
lignée, mais de son fils. Par ailleurs, la présence
des deux hommes sauvages, créatures mi-homme mi-ours,
est une référence étymologique au prénom
"Ursin". Celui-ci est donc bien le commanditaire de
la Reine Blanche.
Le second point concerne les couples de danseurs: ce sont
des bergers. Le motif de la danse est peut-être inspiré
du théâtre religieux médiéval (mes
recherches sur ce point ne sont pas terminées). Je cherche
actuellement à savoir si la représentation de cette
danse "contorsionnée" est parodique, de la même
manière que le tournoi de gueux sur une cheminée
du Palais Jacques Coeur, ou si on peut conférer à
cette danse un caractère religieux (je pensait à
un hommage à la Vierge, qui expliquerait la présence
des sculptures de l'Annonciation et d'Anne et Joachim sur les
chapiteaux du rez-de-chaussée).
Qui possède des éléments
sur ces danses au Moyen-Age,
n'hésitez pas à écrire
à l'encyclopédie de Bourges :
Dernier point: l'appartenance d'Ursin à l'Ordre de la
Table Ronde n'est citée, parmi tous les historiens de
Bourges et du Berry, que par Raynal; les manuscrits de Londres
(vérifiés par Chenu et Laugardière) ne citent
pas Ursin, ce qui paraît être la preuve ultime qu'il
n'en a jamais fait partie. On ne peut rien affirmer de catégorique,
mais cette hypothèse est pour l'instant la plus probable.
Comme vous pouvez le constater, il me reste
encore beaucoup de travail, beaucoup de points à éclaicir.
La façade de la Reine Blanche semble en tout cas être
une représentation de bergers, conçue par un esprit
bourgeois. A suivre. Je continuerais à vous tenir au courant,
jusqu'au rendu de mon mémoire (juin 2005).