Au cours des journées du Patrimoine de septembre
2000, beaucoup ont découvert l'architecture urbaine du
XX ième siècle, thème de cette édition,
et dans les réalisations qui furent montrées à
Bourges figurait "les cités-jardins de l'Aéroport"
: un ensemble de constructions datant des années 1930.
Une cité-jardins, à l'origine est un concept du
XIX ième siècle, issu des idées de Fourier
et de Godin sur les phalanstères et autres familistères.
Cette idée de logements sociaux est théorisée
par un anglais Howard : c'est la cité-jardins, elle comprend
un logement et un jardinet attenant. En France un homme concrétise
à une grande échelle ces notions, c'est Henri Sellier
un berruyer, il va oeuvrer avec son ami Henri Laudier maire de
Bourges de 1919 à 1943.
Le manque
de logement au XX ième siècle
Une des oeuvres essentielles de la municipalité
d'Henri Laudier se manifeste dans le domaine du logement. La
crise du logement à Bourges depuis la fin de la guerre
de 1914 est des plus aiguë. Les causes sont diverses, depuis
cette période, pas ou peu de logements ont été
construits et comme le rappelle Laudier le 23 octobre 1920, "
beaucoup de nos concitoyens qui s'étaient gênés
au possible pendant la guerre, pour faire place aux passagers,
ont tenu à reprendre leurs aises dès la guerre
terminée".
Pour lutter contre ce manque de logements,
Henri Laudier envisage la création d'un Office public
d'Habitations à Bon Marché. Il s'agit de l'ancêtre
de nos H.L.M. ; on les appellera les H.B.M., Habitations à
Bon Marché. C'est un établissement public chargé
de l'aménagement et de la création de maisons,
mais aussi de l'aménagement extérieur, nous dirions
d'environnement, avec, deux exemples, les cités-jardins
et les jardins ouvriers.
Un décret du Président de
la République, Alexandre Millerand est signé à
Fez le 12 avril 1922 il stipule dans ses articles : "
Il est créé un Office public d'habitations à
bon marché pour la ville de Bourges (Cher)." Et
pour plus de sécurité, Laudier s'était assuré
les conseil d'un berruyer, spécialiste de l'urbanisme
et célèbre à cette époque, Henri
Sellier.
Henri Sellier,
le ministre berrichon
Henri Sellier naît à Bourges
le 22 décembre 1883 ; son père est ouvrier aux
Etablissements Militaires. Il s'en va très vite à
Paris pour suivre des études de haut niveau. Il réussit
parfaitement à H.E.C. avant de faire son Droit. Il est
boursier, car il n'y a pas beaucoup d'argent dans la famille.
En 1898, il s'inscrit au Parti Socialiste Révolutionnaire
d'Edouard Vaillant, un autre Berrichon.
Son circuit professionnel commence dans la banque où il
devient employé, avant d'entrer au Ministère du
Travail comme rédacteur. La politique au début
du siècle le passionne.
L'année où Laudier prend la mairie de Bourges,
Sellier, lui, s'empare de celle de Suresnes. Quelques années
plus tard, il devient Président du Conseil Général,
puis Sénateur de la Seine.
C'est dans le domaine de l'urbanisme qu'Henri
Sellier montre toute sa compétence.
Cité jardin de l'aéroport
Dès 1916, il est administrateur
de l'OPHBM de la Seine et il constitue autour de lui une équipe
comprenant des architectes et autres hommes de l'Art. Il acquiert des terrains pour construire ce qu'il
appelle les cités-jardins. En 1920, il est secrétaire
de l'Union Nationale des organismes d'habitations à loyers
modérés. Sa thèse principale date de 1921
; il publie en effet "la crise du logement et l'intervention
publique en matière d'habitat populaire", puis
devient le fondateur de l'Association Française pour l'urbanisme.
Son oeuvre restera dans l'histoire, avec la création des
cités-jardins, qui seront des pôles d'attraction
résidentiels implantés en fonction du marché
du travail. Les cités-jardins constituent des ensembles
urbains dans lesquels on réunit des groupes d'individus
avec leur famille afin de créer de toutes pièces
une cité. Il s'agit de régénérer
le tissu urbain. Henri Sellier écrit :
" L'urbanisme
social se doit d'organiser un meilleur aménagement de
l'humanité, vers un niveau de lumière, de joie
et de santé, un meilleur rendement économique car
il y a urgence à défendre la race dans tous les
domaines contre la certitude de dégénérescence
et de destruction que les lamentables statistiques de la natalité,
maladie, mort, laissent apparaître : 18 % de la perte du
revenu national est due à la maladie".
Dans l'entre-deux guerres, Sellier sera
à l'origine de onze cités-jardins créées
autour de Paris.
Cet homme sera un militant de l'urbanisme "à visage
humain" et à Bourges, il viendra éclairer
de ses conseils les socialistes locaux, dont Laudier.
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L'Office
d'Habitations à Bon Marché de Bourges
La gestion de cet Office est assurée
par un Conseil d'Administration de 18 membres et d'un bureau
de 6 membres. Le conseil municipal délibère et
vote la demande de cette création.
Dans les semaines suivantes, Laudier est élu Président.
Dès la première séance, le but de l'Office
est défini : "c'est d'acquérir et de construire
des habitations conformes aux règles d'hygiène
et au confort moderne, d'en rester propriétaire et d'en
assurer la gérance et la jouissance au mieux des intérêts
de la collectivité".
Dès la fin de l'année 1922, les premiers terrains
sont acquis par l'O.P. d'HBM ; c'est encore modeste, avec 423
mètres carrés à l'angle de la route de La
Charité et de celle de Saint-Michel-de-Volangis ; sur
cette surface, 8 à 10 logements pourraient être
construits.
Les H.B.M. seront édifiés
à Bourges avec les maisons du boulevard Auger, côté
des numéros impairs, puis celles du côté
pair, enfin la cité de l'Aéroport, et plus tard
encore, les constructions du Beugnon et du Moulon.
Au cours d'une séance du Conseil
d'Administration en 1923, Henri Laudier présente Henri
Sellier, alors secrétaire général de la
Fédération des Offices publics d'H.B.M., qui est
venu à Bourges "prodiguer ses conseils éclairés
et aider au bon fonctionnement de l'Office local", comme
le dit le Maire dans un propos d'accueil. En effet, Henri Sellier
explique la méthode à suivre pour réunir
les moyens financiers ainsi que des éléments précis
nécessaires à la constitution des dossiers.
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Les Cités
Jardin de l'Aéroport
L'idée de Laudier, c'est de construire
des logements "à bon marché", à
la périphérie de la ville, pour disposer de terrains
peu coûteux et de grande surface. Le quartier sud est intéressant
suite à la construction de l'usine d'aviation Hanriot
à partir de 1928 et la ville décide d'édifier
des logements pour les salariés, car les effectifs des
employés ne cesse de croître, de quelques dizaines,
ils sont 2000 en 1936 et les moyens de transports collectifs
ou individuels sont faibles.
En face de l'Usine, sur un vaste terrain disponible, l'architecte
Payet-Dortail propose de construire 262 logements selon une proportion
de 135 logements individuels et 127 en immeuble collectif. Mais
l'étude des coûts et la nécessaire construction
d'un important groupe scolaire modifient cette proportion
.
Il est plus économique de construire du collectif et ce
sont finalement 335 logements qui sont proposés dont le
tiers seulement (108) en individuels, et les travaux commencent.
De 1933 à 1940 se dressent de nombreuses maisons de pierre,
dans un espace de verdure et des îlots d'habitations trapézoïdales.
On découvre une grande variété de volumes
construits le long des rues aux noms de nos aviateurs prestigieux
comme Louis Blériot, Nungesser et Coli ou encore Maryse
Bastié.
L'architecte utilise l'expérience
de la banlieue parisienne, de création récente.
Ce sont des pavillons individuels, parfois jumelés, parfois
en bande, avec des formes cubiques, très fonctionnelles
et une toiture plate peu courante en Berry, ils sont de plein
pied et chacun dispose d'une cour devant la maison et d'un potager
sur l'arrière, avec de larges surfaces de verdures communes
à tous. Le constructeur est la société Leseing,
très connue à l'époque.
Il existe aussi des logements dits "améliorés"
qui comportent "un appareil à douche" et une
surface habitable supérieure de 12 mètres carrés.
Ce qui est caractéristique dans
ces cité-jardin, c'est l'importance des espaces verts.
On peut ainsi trouver de petites places arborées avec
du gazon et quelques plantations. Mais les maisons individuelles
possèdent aussi le potager, si cher aux berrichons. Les
étendoirs sont collectifs et les clôtures en béton
sont uniformisées et si aujourd'hui la voiture automobile
stationne sur l'ensemble des rues, on imagine la tranquillité
du quartier dans les années 30 !
Les immeubles collectifs sont plus imposants, mais ils ne comportent
que quelques étages, ce qui les rend à la fois
plus humains et habitables.
Jardins
précurseurs
L'ensemble de ces constructions de l'Aéroport
constitue lorsqu'il est créé, le plus bel exemple
de cité-jardin construite en province. Henri Sellier en
1936 vient visiter cette uvre qui est un peu la sienne
, et lors de la visite présidentielle de 1938, Albert
Lebrun se fera présenter la cité et entrera dans
un logement habité par une famille d'ouvriers.
Par la suite, la guerre vide les habitants de ces lieux réquisitionnés
par les troupes allemandes, et le quartier subit quelques bombardements.
Mais après guerre, la cité de l'Aéroport
reprend sa vie avec la construction d'un groupe scolaire place
Mesmin.
Les logements sont parmi les plus demandés de la ville,
alors que progressivement, par manque d'entretien de la part
de l'Office de HLM, certains "vieilliront mal", alors
que d'autres, réhabilités, resteront de petites
merveilles.
Sur le plan de la conception de l'urbanisme de la ville, les
cités-jardins restent un magnifique exemple de logements
sociaux, à l'opposé des constructions des barres
et immeubles des années 60 et 70.
La cité
jardin en 2007 :
En 2005, dans le cadre du renouvellement
urbain, la question va se poser de savoir comment faire évoluer
cette cité. Pour les "économistes", et
ce n'est pas une critique, ils tiennent les cordons de la bourse,
et donc l'argent des contribuables, il faut raser la cité
et reconstruire.
Pour d'autres, il faut tout conserver en
l'état, car c'est un exemple presque unique de ce qui
se faisait dans les années 1930.
D'autres enfin, pensaient pouvoir réhabiliter
la cité avec des travaux, mais en modifiant profondément
les logements et l'environnement.
Finalement par le plan Borloo du Renouvellement
Urbain, et le combat de certains d'entre nous, il fut décidé
de conserver la cité telle quelle était en réhabilitant
chaque logement. le coût sera considérable mais
l'aspect "patrimonial" a gagné.
99 logements seront entièrement
réhabilités, sachant qu'une dizaine ont été
vendus dans les années passées.