L'HOTEL LALLEMANT, AU PARADIS DES ALCHIMISTES ?
Comme toutes
les grandes cités dont l'histoire est ancienne de plusieurs
millénaires, Bourges a fait des adeptes dans les sciences
les plus obscures. Du secret des Templiers à l'alchimie,
périodiquement, des révélations sont portées
à la connaissance du public.
L'alchimie a fait rêver, a fait parler et beaucoup croient,
à 1000 jours de l'an 2000, en ses vertus. Il faut dire
que la recherche de la pierre philosophale permet d'obtenir la
fortune, la santé et l'immortalité, et pour certains,
en prime, la sagesse, un programme que nul ne peut négliger.
En France, l'Hôtel Lallemant, situé à Bourges,
est pour les spécialistes le haut lieu de l'alchimie.
Les Symboles gravés dans la pierre en sont la preuve,
il faut maintenant déchiffrer tout cela.
UN PEU
D'HISTOIRE TRES CLASSIQUE
Tout semble commencer de manière
fort banale, avec l'arrivée au XIII ième siècle
de commerçants venus d'outre-Rhin qui se spécialiseront
dans le négoce de luxe et que l'on appellera les Allemands,
puis " Les L'Allemands " et enfin pour simplifier,
les Lallemand .
Au milieu du XV ième siècle, le patriarche de cette
famille se prénomme Guillaume, alors que son fils Jean
obtient le titre de receveur général de Normandie
au moment où il s'allie avec une très riche famille
de la région de Bourges, les Barillet de Xancoins.
Comme d'autres, ils s'enrichissent par
le commerce et la vente à la cour des princes et rois
qui séjournaient alors à Bourges. Au moment où
ils sont anoblis, leur maison part en fumée dans le grand
incendie de Bourges de 1487.
Etaient-ils bien assurés (?) ou
leur fortune sonnante et trébuchante était-elle
à l'abri, en tout cas, ils font reconstruire, non plus
une maison, mais un magnifique et vaste hôtel .
Cet Hôtel porte désormais
le nom " d'Hôtel Lallemant ", il était
situé sur un terrain qui relevait de 3 paroisses, et donc,
il fallait s'entendre avec les trois curés respectifs.
Pour se mettre d'accord, il fut décidé que les
Lallemant seraient les paroissiens d'un des trois curés
et cela changeraient à chaque année.
La construction sur le rempart gallo-romain
commence vers 1490, et à la mort de Jean Lallemant en
1494, l'édifice n'en était qu'à ses fondations.
Ce sont ses fils qui terminèrent l'Hôtel en 1518,
pour ne pas simplifier la compréhension du récit,
ses deux fils s'appelaient aussi tous deux Jean ! Pour les différencier
on dira Jean l'aîné et Jean le Jeune.
Jean l'aîné deviendra maire
de Bourges en 1500, son fils quelques années plus tard.
Tous deux appartenaient à l'ordre chevaleresque de Notre-Dame
de la Table Ronde. Cet ordre avait été fondé
à Bourges en 1492 par Jean de Cucharmois, un riche marchand
de Lyon. Et plus tard, cet ordre, qui s'occupait beaucoup de
monnaie et d'or, sera dirigé par Jean Lallemant l'aîné.
La suite du monument est somme toute, assez
classique. Jusqu'au milieu du XVII ième siècle,
il resta dans la famille Lallemant avant d'être vendu à
un secrétaire du prince de Condé, puis revendu
à des particuliers jusqu'en 1826, date à laquelle
un grammairien nommé Pierre-Constance Séguin le
vendit à la ville de Bourges.
La ville en fit une école primaire.
Enfin, récemment, le bâtiment
devint le siège des sociétés savantes de
la région avant d'être le Musée d'Arts Décoratifs
capable d'accueillir les collections de mobiliers et d'objets
d'art de la ville et de l'Etat, cela date de 1951.
Des travaux de réfection des façades
en 1995 et 1996 ont redonné à cet hôtel une
beauté incomparable, c'est un des grands monuments de
notre Berry.
EN AVANT
POUR LA VISITE
Avant de pénétrer à
l'intérieur du bâtiment, il nous faut regarder les
extérieurs avec deux parties très différentes.
Dans la cour d'entrée on peut admirer la façade
assez sévère comportant de belles fenêtres
avec des sculptures de personnages, comme des chevaliers, des
bergers ou encore des animaux.
Au centre de la frise, des animaux à visage humain boivent
dans un vase, dans les angles, des feuillages et des oiseaux
de proie. 7 fenêtres, tout comme le couloir avec ses 5
voûtes (5/7 chiffres symboliques ?). Il débouche
sur une cour à deux niveaux. En bas, sans doute une cuisine
et des magasins de commerce. La seconde tour comprend une tourelle
à l'italienne.
La porte du bas est curieuse, le fronton
est triangulaire avec un médaillon représentant
sans doute Pâris, fils de Priam, c'est le profil d'un guerrier
coiffé d'un casque à tête de bélier.
On adorait à cette époque l'Antiquité, d'où
dans les deux cours, des médaillons en terre cuite représentant
des empereurs romains. Il n'en subsiste aujourd'hui que deux
ou trois.
Au sommet du triangle se trouve une boule de feu rappelant peut-être
l'incendie de 1487, à moins que ce ne soit un symbole
alchimiste.
L'INTERIEUR
CLASSIQUE DE L'HOTEL LALLEMANT
L'Hôtel Lallemant est actuellement
meublé ce qui met en valeur un certain nombre de collections
du XVI ième et XVII ième siècle.
La salle à manger comprend un beau plafond à caissons,
assez classique de cette époque. Au sol, un plancher de
forme octogonale est beaucoup plus rare, avec, en son centre,
la croix de Saint André à 8 branches. C'est la
pièce de l'unité. Les meubles, tapisseries et objets
sont à découvrir.
La chambre
basse est ouverte, la porte est aux armes de Jean Lallemant,
avec une rose et le dizain (qui est, comme chacun sait, un chapelet
à 10 glands.....). Cette pièce comporte une cheminée
sculptée, avec au centre, les armes de Louis XII et d'Anne
de Bretagne, son épouse, c'est-à-dire le porc-épic
et l'hermine. Que donne le croisement de ces deux petits animaux
?
Ces emblèmes royaux font l'objet de recherches. On dit
que Louis XII, alors duc d'Orléans, aurait été
emprisonné à Bourges et délivré par
Jean Lallemant. C'est possible. L' autre théorie est qu'en
avril 1506, Louis XII et son épouse seraient venus à
Bourges et auraient couché dans cette chambre, c'est sans
doute faux, mais c'est une belle histoire !
Les salons se succèdent ensuite,
avec le salon bleu dont les meubles en marqueterie sont à
noter ainsi qu'un cabinet qui aurait appartenu à la famille
de Condé.
Les motifs sculptés apparaissent
à tout moment, ce sont les phénix, un trophée
d'armes avec l'inscription célèbre " SPQR
", et sans oublier les têtes de mort ailées.
En fait, nous sommes, selon les spécialistes
du genre, dans un des hauts lieux de l'alchimie.
L'ALCHIMIE,
VOUS CONNAISSEZ ?
Il est des domaines qui ne peuvent pas
être traités de manière objective. L'alchimie
en est un, car il y a les adeptes et les autres, à l'image
d'une secte, le danger en moins, car on prend surtout le risque
de se brûler les doigts. Mais les adeptes ont fait rêver
pendant des millénaires tant de gens, l'alchimie est si
mystérieuse.
L'Alchimiste, c'est celui qui trouve la
pierre philosophale, et dans ce concept chacun peut y mettre
ce qu'il veut. Pour les uns, c'est l'immortalité, la fin
des souffrances, c'est le breuvage constitué avec des
produits bien spéciaux et qu'il faut absorber pour demeurer
toujours jeune et en bonne santé, jusque dans la nuit
des temps .... Beau programme.
L'alchimie c'est aussi la transmutation des métaux. Dans
son atelier mystérieux, au milieu des cornues et autres
alambics, l'alchimiste transforme par la température les
matériaux vils en argent ou en or, c'est alors la richesse
et les honneurs.
L'alchimie c'est enfin la transformation, non pas des corps,
mais des âmes, et c'est le moyen de devenir meilleur, c'est
à dire un sage.
L'alchimie fut pratiquée en Chine et en Inde bien avant
notre ère, mais c'est à Alexandrie que naquit cette
" science " qui nous arrivera par l'intermédiaire
des Arabes du XIII ième au XVI ième siècle.
Elle commencera à décliner à la fin de la
Renaissance alors que la chimie proprement dite se développait.
Les alchimistes ont beaucoup travaillé
devant leurs fourneaux, mais ont-ils trouvé de l'or à
partir de " vils métaux " ?, la démonstration
reste à faire, mais ils ont beaucoup écrit, et
parfois fait des vraies découvertes. Ainsi, la porcelaine
dure, " made in China ", a fait l'objet de recherches
considérables en Europe pendant plusieurs siècles.
Un alchimiste, Böttger, dont l'histoire est fabuleuse, passa
tant et tant de jours à faire des expériences qu'il
trouva à défaut de l'or recherché la gamme
de fabrication de la porcelaine.
BOURGES
ET LES ALCHIMISTES
Bourges, selon les spécialistes,
est une des villes françaises où l'on trouve le
plus de sujets propres à l'alchimie. Van Lennep affirme
que " Bourges est un haut lieu de l'alchimie française
" puisque s'y trouvent à la fois le Palais de
Jacques Coeur et l'Hôtel Lallemant. Comme Prague, Bourges
possède sa rue de l'alchimie.
En effet, il y a toujours à Bourges,
une rue de l'Alchimie entre la rue Bourbonnoux et le boulevard
de Strasbourg. Curieusement, elle menait à une tour de
l'enceinte gallo-romaine nommée " Tour du Diable
", et dans cette rue, où devaient se passer de "
drôles de choses ", on avait la maison d'Arqueny (ou
Arquemye).
Puisque nous sommes dans les noms de rues,
pas loin de là se trouve la rue Mausecret, qui signifiait
au Moyen Age " rue du mauvais secret ", elle coupait
la rue de l'alchimie..... De là à penser qu'à
l'angle de ces deux rues on avait trouvé la pierre philosophale,
il n'y a qu'un pas.... Que je ne ferais pas.
Tous les grands auteurs et chercheurs sont
venus un jour à Bourges étudier et voir l'Hôtel
Lallemant, c'est le cas de Fulcanelli, Mathé, Chenu, Van
Lennep, et Bulteau récemment. Pour beaucoup, il y a trois
centres d'intérêt dans la capitale du Berry. Tout
d'abord la cathédrale avec de nombreux symboles hermétiques,
comme la plupart des cathédrales gothiques, de Notre Dame
de Paris à Reims et Amiens. Ensuite, c'est le Palais Jacques
Coeur, car le grand argentier de Charles VII qui a amassé
une si grande fortune ne pouvait être qu'un " adepte
". Pour Pierre Borel : " il avait la pierre philosophale,
et ses commerces qu'il avait sur mer, ses galères, et
les monnaies n'étaient que des prétextes pour se
cacher afin de n'être point soupçonné ".
D'ailleurs les sculptures de son palais regorgent de symboles,
comme les arbres philosophiques ou le bas-relief représentant
la messe des alchimistes et situé au tympan de la cour
d'honneur. Jacques Coeur fera encore beaucoup rêver !
Et le troisième exemple de la présence des alchimistes
à Bourges est l'Hôtel Lallemant. Avec le château
de Dampierre-sur-Boutonne, c'est le " rendez-vous incontournable
des alchimistes ".
AU PARADIS
DES ALCHIMISTES
En entrant dans cet Hôtel Lallemant,
sur un cul de lampe apparaît le premier alchimiste qui
tient un pilon ou un matras à col long. Fulcanelli affirme
que cette salle basse est " admirablement adaptée
au travail alchimiste ". Pour se rendre dans l'Oratoire,
sublime pièce, on rencontre encore dans l'escalier d'accès
un personnage tenant un livre fermé qui veut nous dire
que toutes ces pierres recèlent un sens caché qu'il
nous faut découvrir.
En pénétrant dans l'Oratoire,
nous nous trouvons en quelque sorte " au Paradis des alchimistes
", les dimensions de la pièce sont modestes, 5,40
m de haut, 2,6 m de large et 3,8 m de long.
Les
figures et inscriptions énigmatiques affûtent notre
curiosité. C'est à la fois remarquable et inquiétant.
Prosper Mérimée, de passage à Bourges comme
Inspecteur des monuments historiques, écrira :
" Tout le
luxe de sculpture est réservé pour le plafond.
Formé de trois grandes dalles de pierre, il se divise
en trente caissons contenant chacun des compositions différentes,
de bas-reliefs admirablement travaillés, et d'un effet
merveilleux. Ces compositions sont comme autant d'énigmes,
et leur seul défaut c'est d'être aujourd'hui à
peu près indéchiffrables.... J'observe dans les
caissons les lettres E et R fréquemment répétées.
Elles se trouvent encore dans une petite niche fort ornée
près de l'autel... "
Ces trente caissons sculptés représentent
des symboles, comme la sphère enflammée dans une
coupe, avec apparition du signe " 3R " lequel peut
signifier que l'extraction du soufre igné se fera par
une triple réitération. Il y a aussi un putto (jeune
garçon nu symbolisant parfois l'amour) qui fait pipi dans
un sabot, la signification est aisée à trouver,
c'est tout simplement un traitement par voie humide ! Pour être
plus précis, l'urine lave le Mercure, nous sommes dans
une phase d'élaboration de la pierre philosophale.
De même, le putto qui brise sur ses genoux un rosaire,
c'est l'extraction du soufre.
En fait la question qui se pose est de
savoir si la signification de ces trente caissons correspond
à une gamme de fabrication permettant d'atteindre la pierre
philosophale. On trouve les notions d'extraction des matières
premières (la ruche entourée d'abeilles), de traitement
par le feu (le putto penché sur une coquille enflammée),
le nombre de fois qu'il faut renouveler l'expérience,
la séparation et multiplication des matières obtenues
( l'avant-bras enflammé et les 7 châtaignes), et
l'extraction des matières comme la sphère armillaire
au-dessus d'un brasier.
Pour les alchimistes, il s'agit, sans aucun
doute, des différentes phases de fabrication de la pierre
philosophale, avec les matières premières d'origine
(soufre, mercure, eau....), les processus de transformation à
base de feu, et les diverses manipulations des matières
obtenues.
Si la signification alchimiste de chaque
caisson est bien connue par rapport à la symbolique de
l'époque, la gamme totale est inconnue et personne, à
l'aube du XXI ième siècle, si ce n'est peu-être
Fulcanelli, en tout cas c'est ce qu'il écrit, n'a réussi
à reconstituer, ce que les frères Lallemant avaient
trouvé.
RE RER
: LA MYSTERIEUSE CREDENCE
Sur la droite de la pièce, une crédence
en bronze est encore plus mystérieuse que le plafond.
Là encore Fulcanelli, à qui rien n'échappe
a donné " la solution ". La sphère enflammée
apparaît à nouveau trois fois, chiffre symbolique,
au fronton constitué d'une large coquille. On trouve les
lettres R et E. Elles sont disposées de façon curieuse,
c'est RERE puis dessous RER, ce groupe étant répété
trois fois de haut en bas.
Fulcanelli ajoute :
" Nous découvrons déjà grâce
à cette disposition simple, une indication précieuse,
celle des trois répétitions d'une seule et même
technique. Or les trois grenades ignées du fronton confirment
cette triple action d'un procédé unique, et comme
elles représentent...Le soufre philosophal, nous comprendrons
aisément qu'il faille réitérer trois fois
la calcination de ce corps pour réaliser les trois oeuvres
philosophiques ".
De manière plus pragmatique, le
combiné du soufre et de l'arsenic, le realgar serait augmenté
par l'une de ces parties et l'opération devrait être
répétée trois fois. Pris de manière
isolée, le R et le E signifient la sublimation et la dissolution.
Si il y a un nouveau R, c'est qu'il faut répéter
les phases précédentes jusqu'à la sublimation
finale.
EN ALCHIMIE,
LES RECHERCHES CONTINUENT
Aujourd'hui, l'alchimie ne fait plus partie
de recherches sérieuses. C'est le domaine de quelques
marginaux farfelus, mais capables aussi d'écrire des ouvrages
plus ou moins documentés, car comme toutes les sciences
occultes, c'est un domaine qui " fait vendre ". Il
y a un besoin, dans notre monde rationnel, de rechercher certaines
formes de spiritualité ou de mystère qui redonne
à l'alchimie un attrait nouveau.
Au XX ième siècle, hormis
Fulcanelli et ses disciples, il n'y a pas eu d'investigations
scientifiques sur les processus alchimistes. A l'heure d'Internet,
y a-t-il encore une place pour l'irrationnel ? Pourquoi pas mais
à condition de rester dans le raisonnable et d'éviter
le charlatanisme. Pour cela les sculptures et caissons de l'Hôtel
Lallemant sont à votre disposition pour livrer leur secret
et.... vous apporter la pierre philosophale.
Si vous ne trouvez pas, vous aurez au moins
admiré de magnifiques architectures et vous aurez rêvé,
n'est-ce pas l'essentiel. Si vous trouvez le moyen de faire de
l'or à partir du soufre et du mercure, alors, vous deviendrez
riches........ pensez à faire un don à L'Encyclopédie
de Bourges.
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En savoir plus :
- Michel BULTEAU : " L'Hôtel Lallemant de Bourges
"
- Patrick RIVIERE : " L'alchimie, science et mystique "
- Jacques VAN LENNEP : " Alchimie "
- FULCANELLI : " Les demeures philosophales " et "
Le Mystère des Cathédrales "
- Philippe AUDOIN : " Bourges cité première
"