André Malraux
va multiplier les initiatives pour défendre le patrimoine
du pays. Il sera assez souvent brocardé pour ses ravalements
des façades des monuments parisiens.
Une loi en date du 4 août 1962, complétée
de ses nombreux décrets, va permettre de définir
dans des villes à caractère historique des secteurs
qui seront à la fois protégés et subventionnés.
On les appellera "secteurs sauvegardés". Une
protection particulière et des avantages pratiques devront
favoriser la conservation de ses immeubles, de ses rues et places
et de ses quartiers. Un architecte-urbaniste, monsieur Socard,
a été désigné par l'Etat, qui doit
collaborer avec les intéressés. Il existe désormais
un système de subventions, de primes et de prêts
à taux réduits.
Raymond Boisdé, au début de l'année 1964,
va rencontrer André Malraux, afin que Bourges soit bénéficiaire,
au même titre que 13 autres villes, des avantages de la
loi du 4 août 62.
Le 25 mai 1964, le maire s'adresse ainsi à ses conseillers
municipaux :
"La loi apporte une solution générale
aux problèmes posés. Elle le fait de façon
généreuse parce qu'elle organise tout un système
de subventions, de primes et de prêts à taux réduits.
Elle le fait d'une manière libérale parce qu'elle
respecte le droit d'initiative des particuliers."
Chacun s'accorde pour considérer
qu'il faut créer de grandes voies de circulation pour
accéder à l'intérieur de la ville de Bourges.
L'architecte-urbaniste, doit prendre en charge ces préoccupations.
Et c'est ainsi que la municipalité
adopte le projet et définit ce que sera le secteur sauvegardé,
avec un périmètre comprenant le boulevard de Strasbourg,
l'îlot Saint-Bonnet, la rue Calvin, la rue des Arènes,
..... jusqu'à la cathédrale.
La discussion se poursuit, avec des interventions de Mrs. Cothenet
et Depège sur la situation de la Chapelle de l'Hôtel
Dieu ou de la Maison de la Reine Blanche, située rue Gambon.
Mais ces deux conseillers trouvent que le périmètre
est beaucoup trop étendu, ils estiment que cette opération
va apporter de nouvelles contraintes et des servitudes supplémentaires.
Par contre chacun a bien conscience qu'il faut que Bourges se
débarrasse des zones insalubres, véritables coupe-gorge
qui constituent une partie de ce centre historique.
Raymond Boisdé, qui a montré le plan réalisé
par l'administration elle-même, pour définir ce
secteur sauvegardé, s'inquiète essentiellement
de la zone entourant la "nouvelle maternité".
Cet édifice, "dont le chantier est resté,
disons vulgairement, en panne" dit le maire, va repartir
car les étapes administratives, techniques et financières,
sans oublier les exigences du Ministère de la Santé,
ont été franchies. Avec le secteur sauvegardé,
le maire ne se voit pas reprendre des démarches "pendant
deux ans", et il conclut :
"nous n'en sortirons pas!"
La discussion va se poursuivre, et finalement, la maternité
verra..... le jour.
Le projet, malgré ces oppositions, sera adopté
après une dernière intervention de M. Boisdé
: "Nous n'avons pas tellement intérêt à
restreindre le périmètre, parce que nous priverions
certains propriétaires d'avoir des avantages. Et puis,
nous sommes les gestionnaires de l'Hôpital, c'est aussi
de faire en sorte qu'on n'empêche pas cet Hôpital
de s'achever".
La
Tournelle,
Le plan de sauvegarde sera mis au point par M. Julien, Architecte
en Chef des Monuments Historiques, et exécuté d'après
les conseils de la SO.BE.R.E.M. En définitive, la surface
de l'ensemble sera de 58 hectares, et l'opération commencera
avec des îlots numérotés 1 et 5. Ils seront
délimités par la rue Edouard-Vaillant, la rue Mirebeau
et la rue Calvin, pour l'îlot n°1, et par la rue Bourbonnoux,
la rue Molière, la rue des Trois-Maillets et le passage
Casse-cou pour l'îlot N°5.
Monsieur Carnat, directeur de la SO.BE.R.E.M.,
évoquera ce plan comme :
"un plan d'urbanisme qui remplace tous les plans antérieurs
et notamment annule les plans d'alignement pour ce qui concerne
le secteur sauvegardé"
Il ajoute qu'il ne s'agit pas d'imposer, ni d'interdire, mais
d'orienter et d'aider les propriétaires. Pour M. Carnat,
"il faut commencer par faire une enquête, immeuble
par immeuble, afin de déterminer l'intérêt
de chacun d'eux, de connaître l'état de vétusté
et les possibilités d'amélioration des conditions
de l'habitat".
En fait, chacun a bien conscience qu'il
est nécessaire d'améliorer la salubrité
de ces lieux en donnant des avantages aux propriétaires,
ainsi pour monsieur Julien :
"Le secteur
sauvegardé est une réhabilitation des constructions
anciennes pour lesquelles non seulement on restaure les façades
et le gros oeuvre, mais on installe aussi le confort moderne
de façon à rendre vivables des constructions que
l'on aurait considérées sinon comme trop vétustes
pour être conservées et servir à l'habitation
telle qu'on la conçoit actuellement".
Il y a dans cette opération, un
double objectif, le premier est de permettre de meilleures conditions
de confort, le second de mettre en valeur les façades
pour des raisons esthétiques et favoriser le tourisme.
L'objectif, rappelle aujourd'hui Jean Pierre Roger, était
à l'époque d'avoir un règlement d'urbanisme,
avec un périmètre comprenant des recommandations
parcelles par parcelle. Il ajoute :
"Il fallait
effectivement sauvegarder, et pour cela créer une dynamique
de réhabilitation. Le plan Julien comme il était
appelé, devait constituer des îlots et favoriser
un effet d'entraînement chez l'ensemble des propriétaires.
En fait, cette démarche volontariste était finalement
très autoritaire. De plus, la procédure était
lourde et coûteuse."
Encore faut-il que les propriétaires
suivent, mais M. Julien n'est pas inquiet, "évidemment,
il y a quelques réfractaires, mais ils sont peu nombreux,
et je compte beaucoup sur l'exemple général pour
les convaincre".
L'acte de création
du secteur sauvegardé sera en date du 18 février
1965.
En réalité, la ville de Bourges
n'a jamais approuvé le plan Julien, et il faudra attendre
1978 pour qu'il soit remis en chantier. Les explications sont
complexes et multiples. Parmi les premiers reproches, Jean Pierre
Roger souligne que Monsieur Julien était un "architecte
médiéval", aussi dans le classement des parcelles,
il avait coloré en jaune ce qui pouvait être détruit,
c'est à dire tout ce qui ne datait pas du Moyen-Age. En
particulier l'architecture du XIXe siècle n'avait aucune
chance de rester en place. M. Roger ajoute "que les petites
cours et dépendances qui servaient aux commerçants
berruyers comme des réserves ou des petits entrepôts,
devaient être détruits, et si l'activité
économique n'avait plus la possibilité de stocker
des marchandises, c'est toute la vie commerciale qui disparaissait".
Par la suite, le Conseil Municipal décide,
par une délibération en date du 12 octobre 1968,
d'engager l'opération de rénovation sur les îlots
opérationnels N° 1 et 5, et d'en confier la réalisation
à la SO.BE.R.E.M. pour une durée de 7 ans.
Les difficultés inhérentes à ce type de
réalisation sont essentiellement dues à une augmentation
du coût des travaux depuis 1968, à un démarrage
très lent "en raison de la complexité du domaine
bâti", et aussi à la volonté de ne pas
imposer trop brutalement aux occupants des immeubles concernés,
une mutation de leur cadre de vie. Le coût pour la municipalité
de Bourges sera considérable, et les conflits pouvant
aller jusqu'à des expulsions ne contribueront pas à
rendre populaire l'opération.
C'est à cette époque que chacun prend conscience
que les dégradations d'un certain nombre de monuments
de Bourges sont à combattre. L'exemple du Couvent des
Augustins est un cas symptomatique. Cet édifice appartenait
à M. Rouzier, lequel avait bien voulu le céder
pour un chiffre "ridicule" à la Ville. Il faut
dire que le propriétaire avait des charges énormes
d'entretien des bâtiments, et la présence de locataires
qualifiés "d'hétéroclites" ne
facilitait pas la gestion. C'est ainsi que le bâtiment
sera restauré, ce dont Raymond Boisdé est très
fier :
"... Emmenez maintenant qui vous voudrez dans la cour
intérieure de ce Couvent des Augustins, regardez ce cloître,
dont les 3/4 restent debout, entrez dans cette salle magnifique
où se trouve la chaire dite de Calvin, et vous dites :
cela est digne d'une grande Ville".
C'est à partir d'un de ces îlots,
celui compris entre la rue Bourbonnoux, le passage casse-cou,
la rue Molière et celle des trois maillets que les urbanistes
vont mettre à jour la promenade des remparts, dans les
années 1980.
Ainsi Bourges commence à s'intéresser de manière
soutenue, et avec de bons moyens financiers, à ce "vieux
Bourges" qui tombait en décrépitude, sans
pour autant négliger, bien au contraire, la construction
de logements dans le nord de la ville.
Bulletin d'information du
Cher n°52 (M. Julien)
Bulletin Municipal Officiel de Bourges de 1964
Conversations avec M. Jean Pierre Roger (1994)