GUILLAUME ET LE MAZAGRAN
Elle s'est implantée à
Mehun, Foëcy, Vierzon, mais pourquoi Bourges n'a-t-il pas
eu de fabrique de porcelaine ?
En 1902, Emile Guillaume installe
rue des arènes à Bourges un magasin qu'il appelle
" Le grand dépôt Céramique ". Il
est spécialisé dans tout ce qui est de l'art de
la table et fourni du baccarat, du Giens, et bien entendu de
la porcelaine du Berry.
Le coup de génie de Guillaume
fut la renaissance du mazagran. C'était à l'origine
un mélange de café chaud et d'alcool, qui s'appelait
la " bistouille ". Mais en souvenir d'une bataille
en Afrique du Nord avec un régiment venu du Berry, ils
utilisèrent beaucoup ce genre de boisson pour se donner
du courage.
Cette bataille se déroulait à
Mazagran, et, au retour, ils continuèrent à boire
ce liquide dans un récipient qu'ils appelèrent
Mazagran.
Ce récipient est fabriqué dans les porcelaines
du Berry dans les années 1850 / 1920, et en 1930, on n'en
trouve plus sinon dans les brocantes.
C'est en 1938, pour la venue à Bourges du président
de la République Albert Lebrun, que Guillaume cherche
un objet original... et il trouve le Mazagran. Le succès
est immédiat, et les porcelainiers du Berry reprirent
leurs anciens moules......
Le fils de François, Etienne-Martin entré dans
l'affaire en 1955 trouve un successeur au Mazagran, il s'agit
de la mazette, ou petit mazagran qui entre dans les machines
à café....

Mazagrans réalisés
pour la visite du Président Albert Lebrun en 1938
(documents Jacques Moreau)
APPORT DE Bernard
EPAILLY
Article du Petit Berrichon (éditions
CPE)
1840
En ce temps-là, la France du roi Louis-Philippe continuait
sans scrupules la conquête coloniale des côtes algériennes
commencée sous le règne de Charles X. Mais elle
se heurtait depuis peu à la résistance inattendue
des troupes locales dirigées par lémir Abd
el-Kader. Cest dans ce cadre-là que nous découvrons
le village de Mazagran, proche de Mostaganem, à lest
dOran, siège dune « attaque acharnée
qui comptera comme lune des plus célèbres
de lépoque1 ». Le 2 février (près
de 180 ans ces jours-ci), la « kasbah de cette petite ville
était occupée par cent-vingt-trois hommes sous
les ordres du capitaine Lelièvre », une «
faible garnison » face à « douze à
quinze mille hommes » commandés par un lieutenant
dAbd el-Kader. Contre toute attente, après «
quatre jours et quatre nuits de combat1 », les Français
sont sortis vainqueurs de cet affrontement inégal2. Et
pourquoi, le Berriaud est-il particulièrement bavard à
propos de cet exploit?? Justement parce que les braves qui composaient
le bataillon étaient majoritairement berrichons, dirigés
par un officier du Loiret, le capitaine Lelièvre. Du côté
de chez nous, on appelait (sans imagination excessive) cette
unité « le lièvre et ses lapins ».
Retour sur le sol français?:
on affirmait dans les casernes que nos soldats sétaient
donnés chaleur et courage en buvant du café additionné
deau de vie, un exemple à suivre évidemment.
Ce café-là était trop bon. A leur retour
en France, les « lapins » ont donc continué
tout naturellement à boire leur café « comme
à Mazagran ». Et cest ainsi quun mot
nouveau est discrètement apparu dans la langue française.
« Dame, on sprendrait ben un mazagran?! » quon
disait. Le souvenir de lAlgérie puis le plaisir
de boire un café noir sucré et arrosé dune
petite goutte sest rapidement répandu parmi les
militaires puis il a été adopté progressivement
par la société civile. Et cest ainsi quon
a pu lire, dans le Littré3 de 1872, que le mazagran (nom
commun), était un « breuvage » composé
de « café noir, de sucre et deau » et
quelquefois deau-de-vie (!). A lépoque, le
mot mazagran désignait le contenu et pas le contenant.
Mais lhistoire nest pas finie
En effet, le mazagran, nest pas
un café qui peut senfermer dans une tasse. On le
sert dans un verre profond, café noir, sucre eau de source
et eau de vie, avec une cuiller à long manche, pour mêler
le tout. Et bien chaud, naturellement. Cest cette tradition
venue dAlgérie que le porcelainier le plus célèbre
du Berry, Charles Pillivuyt, installé à Foëcy
puis à Mehun, a réussi à développer
en France au milieu du XIXe siècle. Lidée
lui a, paraît-il, été donnée par un
« lapin » revenu à la vie civile qui lui a
raconté que le Dey de Mazagran servait le thé «
dans de hautes timbales coniques en argent incrusté4 ».
Le thé, bien sûr, et pourquoi pas ce café
sucré étendu deau et dalcool quon
appelle mazagran et qui ne tient pas dans une tasse?? Charles
fut séduit. Lobjet sera « conçu en
porcelaine épaisse afin de garder le café chaud?;
il comportera un filet dor à quelques millimètres
du bord et il sappellera mazagran comme le liquide quil
contient » 4. En 1907, Mazagran (la bataille) deviendra,
à Bourges, un nom de rue et le mazagran (le breuvage et
son récipient) sera populaire pendant 70 ans. Délaissé
dans les années 1920, il a refait surface en 1938, lorsque
« un négociant de Bourges en arts de la table, François
Guillaume, le plaça sur la table du Président de
la République, Albert Lebrun », de passage dans
la capitale du Berry.
Cétait bien le meilleur
endroit pour relancer la diffusion du mazagran, né en
Algérie, mais berrichon dadoption, lancé
par Lelièvre et ses lapins puis par les porcelainiers
de Mehun-sur-Yèvre (Cher) et de lusine Robin de
Saint-Genou (Indre). Un cheminement qui continue avec sa descendance,
la mazette, créée par la maison Guillaume, plus
petite et moins élégante que le mazagran mais dont
la taille autorise le passage sous le percolateur des cafés.
Mazette?! Cest aussi une interjection bien de chez nous
que lon trouve, par exemple, sous la plume de Solange Sand
qui lutilisait volontiers dans la correspondance avec sa
mère.
1 Léon Galibert, Histoire de
lAlgérie ancienne et moderne, Furne Ed., 1843.
2 avec un seul mort, côté français et plusieurs
centaines côté algérien (https?://fr.geneawiki.com/index.php/Alg%C3%A9rie_-_Mazagran).
3 Dictionnaire étymologique, historique et grammatical,
Hachette (1ère éd. 1841).
4 Henri Letourneau, Porcelaines et porcelainiers en Berry, Bourbonnais,
Poitou, des origines à 1930, Ed. Valmont, 2015.