1920 /
1925 Les années agitées
- Le virage du Congrès de Tours
- Laudier se met au travail : les dossiers municipaux
- Laudier perd son siège de député
- Les loisirs des berruyers
- La Foire Exposition
- L'Hôtel des Postes
- Le Palmarium
- La Grange des Dîmes et l'Eglise
- Henri Sellier, ministre Berrichon
- L'Office d'Habitations à Bon Marché (H.B.M.)
- Le Monument aux Morts
- Laudier réélu maire de Bourges
1926 /
1930 Grands travaux et grandes décisions
- Vers un Musée d'Histoire Naturelle
- Laudier le bâtisseur
- Le Plan d'embellissement
- L'Hôtel des Postes
- La bataille pour l'Aéroport
- Les Nouvelles Galeries flambent
- L'aventure des Prés-Fichaux
- Laudier et les mandats électoraux
- Laudier Sénateur-Maire
- L'Ecole Nationale Professionnelle de Jeunes Filles
- L'économie berruyère
- Sports et musiques
LES ANNEES
AGITEES 1920 / 1925
1920,
la France recherche les symboles ; elle exhume à Saint-Charles-les-Ypres
le Soldat Inconnu alors que chacun s'interroge, plein d'espoir,
sur la constitution de la Société des Nations dont
la première séance se réunit en novembre.
En sport, la boxe est reine ; les Berrichons suivent avec attention
les combats du grand Georges Carpentier. En octobre il devient
champion du monde des mi-lourds. A La Guerche où il vient
souvent se ressourcer, Carpentier fait figure de héros
local.
Les loisirs s'organisent en Berry, comme le rappelle Roger Richet
dans "Bourges au fil des ans" ; c'est en Avril 1920
qu'une Ecole Municipale de Musique est créée ;
elle était alors située rue Edouard Branly. L'année
suivante, cette Ecole deviendra "Nationale", une belle
promotion pour ses animateurs : les frères Fernand et
Armand Huret.
Mais l'après-guerre est avant tout une grande période
de constructions. Pendant 4 ans, toute l'activité du pays
avait été tournée vers l'industrie de guerre.
A partir de la fin du conflit, les grands projets, souvent stoppés,
vont être repris, et Laudier en plus, va mettre son imagination
et sa rigueur de gestionnaire au service de sa ville de Bourges.
Mais la politique ne sera pas absente des préoccupations
de nos concitoyens.
L'ARBRE
DE LA PAIX
Comme il manque de l'argent pour édifier
des monuments aux morts dans toutes les communes, on cherche
à honorer les poilus sous toutes les formes, et avec des
aspects si possible symboliques.
Parmi les places de Bourges, la place Gordaine a toujours été
au coeur de la ville. Déjà au temps de la réforme,
la légende affirme que sur une pierre servant à
la criée, Calvin alors étudiant à l'Université
berruyère prononça, juché sur cette pierre,
ses premiers sermons.
C'est donc place Gordaine que les représentants
de la Municipalité et les Anciens Combattants vont rendre
hommage aux morts de la dernière guerre. Ils choisissent
de planter avec une grande solennité un arbre de la Paix.
C'est un cèdre qui est choisi et le jour de la cérémonie
est le 11 novembre de cette année 1920.
Tout ce que la ville compte de personnalités est présent
à la "plantation" de ce "cèdre de
la paix" comme on l'appelle. Laudier est là, ainsi
que Foucrier qui va beaucoup se dépenser pour que l'on
n'oublie pas les poilus qui se sont sacrifiés et parmi
lesquels, se trouvait son fils.
Pierre Grosjean, qui fut Président du Mouciau, a assisté
à cette cérémonie ; il racontait que l'on
avait mis, au pied du cèdre, de la terre prise sur les
champs de bataille.
L'arbre solidement planté, chacun
va se séparer, et dans la nuit, des vandales vont venir
scier le cèdre. Ce sera un énorme scandale, car
ce fut perçu comme un sacrilège envers les morts.
Beaucoup trouvèrent que c'était ignoble, mais surtout
que cela représentait un bien mauvais présage.
Finalement, on laissera une racine et une petite branche dans
le sol, et, miracle, au fil des années, un cèdre
poussera et deviendra magnifique, il participera à la
beauté de ce qui est une des plus belles place de Bourges.
LE VIRAGE
DU CONGRES DE TOURS
Drôles de fêtes de Noël
pour les socialistes en cette fin d'année 1920 : ils tiennent
leur Congrès, le XVIIIe, dans la ville de Tours. Ils sont
250 délégués, représentant 178 000
adhérents, regroupés en 98 fédérations.
Pendant tout l'été, les "21 conditions d'adhésion
à la IIIe Internationale " ont été
élaborées par Cachin et Frossard, ce sont les futurs
communistes. A côté, ceux que l'on appelle déjà
les "reconstructeurs" sont partisans de la signature,
mais avec des réserves. Ils sont emmenés par Longuet
et Faure. Enfin, les opposants rejettent les 21 conditions, ce
sont les futurs "socialistes", regroupés autour
de Sembat, Thomas et Blum. Ces derniers rejettent le "centralisme
démocratique" et la "dictature du prolétariat".
Après des débats très âpres, ils seront
battus, assez largement. La motion Cachin-Frossard d'adhésion
à la IIIe internationale est adoptée par 89 fédérations,
c'est la création, selon le voeu d'un message de Zinoviev,
"d'un vrai parti communiste".
C'est Emile Lerat qui représentera
la Fédération du Cher. Il était berrichon,
né à Brinon-sur-Sauldre en 1887, fils d'un jardinier
qui n'avait pas d'attaches particulières avec le monde
politique. Lerat, après son Certificat d'Etudes deviendra
cordonnier. Claude Pennetier raconte que le petit Emile suivit,
à La Chapelle-d'Angillon, les cours du soir donnés....
par le père d'Alain-Fournier. C'est peut-être la
raison de cet amour de la poésie qu'il manifestera toute
sa vie. De manière progressive, le petit cordonnier berrichon
s'intéresse à la politique. Il devint socialiste
et se préoccupa de diffuser ses idées dans le Sancerrois,
une région assez imperméable à ces idées.....
Emile Lerat se présentera à diverses élections
locales, mais sa candidature ne fut pas retenue pour les législatives
de 1919. En juillet 1920, il se prononce sans aucune ambiguïté
pour l'adhésion des socialistes à la "Troisième
Internationale". Passant parfaitement bien auprès
du monde rural, il était un bon orateur. C'est sans doute
pour ces raisons qu'il se retrouve à la tribune de cet
historique Congrès de Tours.
Au nom des socialistes du Cher, Lerat va
"souligner l'aspiration croissante à un parti révolutionnaire
au service des travailleurs et non à celui d'ambitions
électorales". Sur les 31 mandats de la Fédération
du Cher, il y en aura 24 pour la liste des révolutionnaires.
Les minoritaires comme Laudier à Bourges ou Bodin à
Vierzon, refuseront l'adhésion ; ce sont déjà
des notables élus et respectés. Lerat dans l'Emancipateur,
l'ancien journal de Laudier écrira :
" La propagande communiste doit être
notre oeuvre et la Révolution socialiste notre but. Vive
l'Internationale communiste, Vive le Berry révolutionnaire".
Ainsi commence pour la France et le Berry, la grande rupture
idéologique qui durera pendant tout le XXe siècle
entre les frères ennemis de la gauche.
Mais Laudier, à partir de 1919, s'est mis au travail dans
sa mairie de Bourges, située juste en face de la cathédrale.
Terre de Luttes de Pigenet,
Rygiel, Picard
Claude Pennetier : Le socialisme dans le Cher
Claude Pennetier : biographie des militants socialistes, communistes
et syndicalistes
LAUDIER
SE MET AU TRAVAIL
Les délibérations du conseil
municipal sont publiques et un compte rendu de ce qui s'est dit
est consigné par un Secrétaire de mairie. Il ne
semble pas qu'avant Laudier, sauf dans l'année 1904, ce
document important ait été publié. C'est
une des premières actions du nouveau maire, en 1920 :
il fait figurer au budget primitif de 1921, les crédits
nécessaires à la rédaction et à l'impression
du Bulletin Municipal.
Le premier Bulletin Municipal de Bourges, vendu au numéro
et par abonnement annuel, est consacré à la séance
du conseil municipal réunie le 13 décembre 1920
; c'est la Maison Auxenfants qui est chargée de la publication.
Depuis cette date, toutes les délibérations des
conseils municipaux sont publiées. Il y avait une volonté
d'expliquer et de "jouer la transparence" pour reprendre
des termes actuels.
Parmi les premiers dossiers traités par Laudier figure
le Statut du personnel communal, par application de la loi du
23 octobre 1919. Désormais l'effectif de la commune de
Bourges est divisé en titulaires, stagiaires et auxiliaires,
ils sont placés sous la surveillance du Secrétaire
Général chargé de centraliser toutes les
affaires et de transmettre aux chefs de service pour exécution,
les décisions de la municipalité. En outre, ce
statut classe le personnel en 6 catégories, de l'architecte
au garde champêtre, en passant par le brigadier d'octroi,
la sténo-dactylographe ou le chef paveur.
Sont prévus des articles sur l'avancement, la discipline,
les congés. Sur ce dernier sujet, l'article 29 stipule
:
"Il est accordé chaque année au personnel
titulaire un congé de repos payé de 15 jours ouvrables.
Les stagiaires et auxiliaires auront droit à un jour de
congé par mois de présence".
L'échelle des traitements et les
accidents de travail font aussi l'objet d'une longue explication.
L'ensemble du statut est signé Henri Laudier, Député-Maire
de Bourges, la date annexée est le 19 juin 1920.
Un second dossier se présente dès
le 23 octobre 1920, c'est déjà "l'affaire
des Prés-Fichaux". Le principe de la création
d'un jardin public limité par le boulevard de la République,
l'allée des Soupirs et le cours Beauvoir est adopté,
reste à acquérir les terrains. Le 7 janvier 1921,
une lettre est adressée à Mme de Bourbon, laquelle
possède plusieurs parcelles de ce terrain. Cette dame
n'ayant pas répondu elle-même à ce maire
socialiste, c'est son notaire qui réclame un prix conforme
à celui d'un terrain à bâtir ! Laudier n'est
pas très content, il dira :
"Ces prétentions sont inacceptables, étant
donné que les terrains sis au lieu dit Les Marais des
Prés-Fichaux ne sont pas des terrains à bâtir,
en raison de la nature du sous-sol; d'ailleurs il y a lieu tant
au point de vue hygiène qu'au point de vue esthétique,
de faire disparaître cet îlot insalubre et de le
transformer en embellissant et assainissant à la fois,
cette partie de la ville".
Laudier écrit à nouveau le
10 février à Mme de Bourbon pour trouver une solution
à l'amiable. Quant aux parcelles appartenant aux hospices,
il y en avait quelques unes, sur le terrain du futur jardin.
Après discussion, l'acquisition est votée pour
un prix de 125 000 francs. Ainsi commence cette aventure des
Prés-Fichaux, elle va diviser les Berruyers pendant une
décennie.
La vie communale à Bourges se poursuit
avec des sujets d'importance fort différente. C'est la
querelle de la dénomination des rues de la cité,
ainsi, une proposition est faite pour donner le nom de "place
du 11 novembre" à la place Cujas, le nom de "Cujas"
étant donné lui, à une autre place actuellement
appelée Mirpied. On s'étripa de belle manière,
la politique s'en mêla avec le citoyen Guillot qui affirma
:
" Le gouvernement bourgeois continue sa politique impérialiste.
La guerre continue depuis deux ans en Russie, en Syrie, en Cilicie..etc
"
Et ce fut le statu quo, le citoyen Cambon résumant la
situation :
" Je suis opposé moi aussi à tous les changements
de noms de rues, de places.... La question pourrait être
je crois renvoyée en commission".
Ce qui fut fait!
Les sujets qui intéressent les Berruyers
sont divers, ainsi, en mars 1921, une pétition est signée
d'un certain nombre d'habitants de Lazenay demandant le vote
d'une subvention pour l'installation de la lumière électrique.
Et déjà en 1921, les problèmes de stationnement
sont dans le collimateur des Berruyers. Le commissaire de police
signale que le stationnement des camions automobiles près
de l'école de Pignoux est un danger. Après accord
avec l'autorité militaire, ils stationneront désormais
chaussée de la Chappe.
LAUDIER
PERD SON SIEGE DE DEPUTE
Alors que l'on prépare les Jeux
Olympiques pour le mois de juillet 1924 - ils doivent se tenir
à Paris - c'est à une autre confrontation que les
hommes politiques français se préparent : les élections
législatives du 11 mai 1924. Il s'agit de choisir les
députés qui remplaceront la "Chambre bleu
horizon" de 1919.
Ces élections se déroulent à la proportionnelle
par arrondissement. Dans le Cher, pour l'arrondissement de Bourges,
4 listes sont en contact :
- la liste de Concentration Républicaine, emmenée
par Foucrier et Massé.
- la liste du Bloc Ouvrier Paysan, d'obédience communiste
avec le cordonnier Emile Lerat et un ajusteur : Gaston Cornavin.
- la liste d'Union Républicaine et Socialiste, avec deux
des députés sortants : Henri Laudier et Marcel
Plaisant. Cette liste comprend aussi Emile Perraudin, Pierre
Valude et Gustave Vinatel.
Enfin dernière liste, celle d'Union Nationale Républicaine
; elle est conduite par Pierre Dubois.
La campagne électorale est terrible,
c'est un affrontement entre les communistes et les socialistes
de la S.F.I.O. Les communistes sont les hommes à battre,
ils sont perçus par les gens du gouvernement comme des
esprits malfaisants. On retrouve dans les notes de la Préfecture
du Cher, en face du nom de Gaston Cornavin, trésorier
de la Fédération communiste du Cher, ces phrases
: "Exalté, ayant un mauvais esprit, est un propagandiste
acharné du PC... un des principaux orateurs des tournées
de propagande du PC." quant à Emile Lerat, son sort
est encore plus vite règlé : "aucune valeur
personnelle, peu intelligent". Ces derniers mots étaient
signés du sous-préfet de Sancerre.
Le journal du Parti Communiste l'Emancipateur
ne fait pas, lui non plus dans la dentelle, il écrit le
6 avril 1924 sur le député-maire de Bourges :
" Monsieur Laudier, dont le discrédit est déjà
grand, vient de sombrer pour toujours dans la fange. Qu'attend
le parti S.F.I.O. pour prononcer son exclusion ?".
Les arguments contre Laudier "le beau parleur" sont
connus, il devient modéré, lui le révolutionnaire.
Pour le PC, il y a eu manoeuvre, "à la grande satisfaction
de certains fonctionnaires bien en cour à la Loge de Bourges,
qui ont eu à certaines heures une attitude moins équivoque."
La Franc-Maçonnerie est présente dans la campagne.
Dans un courrier des lecteurs, un catholique, comme il se nomme,
écrit au journal : " Il ne serait pas sans intérêt
de consulter les registres de la Loge de Bourges ; on y ferait
des découvertes intéressantes ". La question
d'alors était : " Charles Dumarçay sur la
liste Foucrier, est-il Franc-Maçon ?".
Ainsi, Laudier sur la même liste que les radicaux et autres
modérés, c'est à dire les Valude et autres
Plaisant, "cela ne se faisait pas", il est traité
de "grand renégat". A la fin du mois d'avril,
c'est le point final de la campagne du P.C. avec ces mots :
"Mais Laudier, pour lequel nous avons lutté, et que
nous avons sorti de la misère en l'élisant député
?"
Dans le journal, l'Avenir du Cher, le 20
avril 1924, Laudier , avec son équipe dévoile son
programme. En fait, la liste comprend de fortes personnalités
mais les articles qui se multiplient sont plus souvent signés
de Plaisant qui évoque "le chemin vers la Paix définitive"
que de Laudier qui semble beaucoup plus discret. Le Maire de
Bourges préconise un allègement des charges militaires,
la laïcité de l'école et de l'Etat, et la
liberté de conscience. Il exige un enseignement accessible
à tous les enfants du peuple sans aucune distinction que
celles fondées sur l'intelligence et le travail. Il insiste
aussi sur la liberté syndicale, la réforme fiscale,
et enfin le développement des institutions de Crédit
Agricole. On trouve aussi, dans le vocabulaire de Laudier et
de ses amis, la référence à un "Programme
Commun".....
Il y a 95 955 électeurs inscrits, et 80 680 votants. La
liste Foucrier obtient 17000 voix, la droite classique de Dubois
est en baisse à 12000, et les listes communistes d'un
côté et socialo-radicales de l'autre arrivent dans
un mouchoir de poche : 23 884 pour la première, 24724
pour la seconde. A la "moyenne de liste" sont élus,
Massé, Perraudin et Cornavin, alors que Valude et Plaisant
sont élus à "la plus forte moyenne".
Laudier a perdu son siège de député.
Ce système qu'il qualifiera de "représentation
proportionnelle mensongère" ne lui a pas été
favorable. Sur sa liste, il arrive derrière Plaisant,
Perraudin et Valude, il a 201 voix de moins que son colistier,
cela signifie qu'il a souffert de ratures. A Bourges, il n'a
pas que des amis, même dans son propre camp.
Laudier sortira très dépité
de ces élections. Il va dès lors se consacrer à
sa ville. Il poursuit son action sur le plan politique et social,
et il propose, au nom de la Commission des Finances de la Municipalité
de voter une somme de 1000 francs pour une participation "à
l'oeuvre humanitaire de secours aux populations affamées
de Russie". Les informations sur la situation économique
de ce premier pays dirigé par des communistes sont donc,
dès le début des années 1920, largement
connues en Berry. Laudier le socialiste n'oublie pas le chômage
en France. Il fait aussi voter la même somme "en faveur
des grévistes du Nord qui sont en lutte pour empêcher
la réduction de leurs salaires.."
Sur le plan national, la gauche gagnera les élections,
avec une coalition que l'on appellera "le cartel des gauches",
un regroupement des radicaux, des socialistes S.F.I.O. et des
républicains socialistes.
LES BERRUYERS
A LA BELLE EPOQUE
Quelques chiffres relatifs à la
ville de Bourges dans ces années permettent de comprendre
les problèmes de cette époque. La population en
1921 est de 45 942, un chiffre strictement identique à
celui de 1911. Cette même année, en mai 1921, il
y a eu 6 mariages à Bourges, contre 30 l'année
précédente, mais aussi 6 divorces, ce qui donne
un "solde nul". Les naissances sont de 72, elles sont
dites "légitimes" dans les comptes de l'administration
contre 13 dites "illégitimes"..... A cette époque,
les enfants naissaient chez eux, le chiffre est de 66 dans les
maisons particulières contre 19 à la maternité,
les décès enfin sont de 85, il y a donc là
encore une balance nulle entre naissances et décès.
C'est aussi le temps des guinguettes avec les bals dans les Marais
de Bourges. Les vieux Berruyers se souviennent avec une larme
de nostalgie la belle époque où chacun allait le
dimanche après-midi au coeur de Bourges dans ces marais
mystérieux. Les guinguettes refusaient du monde, la Courcillière,
le Caraqui ou le Moulin-Bastard, c'était le lieu rêvé
pour la jeunesse berruyère de "s'éclater"
comme on le dirait aujourd'hui. Les orchestres simples, comme
"Caks'ton Jazz" ou plus complexes tel "The Hot
Boy's Orchestra and P'tit Louy's Jazz" jouaient rue de Babylone
ou au "Bon Accueil" de Fenestrelay.
En 1906, fut créé par Monsieur Renard un lieu original
: Robinson. Entre l'Auron et le canal, au milieu des arbres et
de la pelouse, furent édifiées des tonnelles, où
chacun pouvait consommer et aussi danser. Mais le propriétaire
était imaginatif. Il fit construire un bassin, et l'emplit
de poissons, ainsi, ceux qui ne voulaient pas danser pouvaient...
pêcher, et même consommer sur place la friture.
La danse est une des grandes activités de cette époque,
il n'y avait pas de télévision, et les Berruyers
"sortaient" de chez eux. Les bals, à la mauvaise
saison se déroulaient au Palmarium, qui était véritablement
la salle "à tout faire", alors que "Le
Salon de la Victoire", près de la place de la Nation,
très récemment rénové, attirait les
danseurs qui s'en allaient "chez Lesage" comme chacun
se le disait.....
Les loisirs, c'est aussi le cinéma,
et parmi les grands films qu'il est possible de voir en Berry
figure "Pêcheur d'Islande", d'après l'oeuvre
de Pierre Loti. Le Grand Palais à Bourges donne aussi
dans les soirées de gala avec en mai 1925, "La Course
Infernale" interprétée par Réginald
Denny, alors que l'entracte est occupée par une attraction
: les "Edouard's" qui sont des acrobates. Les Berruyers
reçoivent aussi les tournées, et le premier comique
du théâtre de Cluny, à Paris se nomme Léo-Rivière,
il est en terre berrichonne dans une pièce intitulée
"Nous avons tous fait ça...". Le public se bouscule
à ces spectacles.
Le sport à Bourges, c'est le rugby
et le football, mais les Berruyers vont souvent, le dimanche,
acclamer "au Tivoli" les coureurs cyclistes. Sur la
célèbre piste de ciment, un des "as"
de l'époque, Choury, va être opposé aux frères
Narcy, les gloires locales dans le domaine du vélo. C'est
en effet dans ces années que les 6 jours de Paris deviennent
la grande manifestation sportive du pays. Choury arrive de ces
6 jours, "et ce sera une grande bataille.... elle se déroulera
dans une américaine de 80 kilomètres, reste à
savoir si les coriaces frangins se laisseront faire sans murmurer,
on peut bien dire que non". Tels sont les commentaires de
la presse locale, qui est assez peu sportive, si l'on considère
la place consacrée au sport local ou national.
Le XXe siècle sera sans aucun doute
celui de l'automobile. A Bourges, dès le début
des années 1920, la question de la vitesse de ce véhicule
est à l'ordre du jour du Conseil Municipal. Un conseiller
s'exprime par l'invective : "Il faut prendre un arrêté
sur la vitesse excessive". Et de proposer quelques solutions.
Le Maire répond calmement, il est impuissant car, dit-il
: "Il n'est pas possible de mettre partout des agents de
police pour stopper les automobiles, mais on pourrait peut-être
verbaliser ! " Et chacun, de donner son avis sur ce problème
avec maints détails. Ainsi, il apparaît que sur
la partie goudronnée de la rue Barbès, où
ça roule très bien, les voitures font du 80 à
100 à l'heure, il faut limiter la vitesse à 25
ou 40 à l'heure, car "aujourd'hui, ce sont les chiens
et les chats que l'on écrase", signale un conseiller,
"après ce sera le tour des enfants, car les rues
des faubourgs sont très populeuses", et il n'est
pas question de doubler le nombre d'agents.
En fait, la vitesse règlementaire, vers 1920 est de 14
kilomètres à l'heure, et nul n'applique une telle
vitesse. Pourtant la voiture est de plus en plus présente
dans les conversations des Berruyers.
A Bourges, il était donc possible de se distraire, sans
que cela ne coûta trop cher, alors que la municipalité
commençait à organiser des loisirs à grande
échelle. Ce sera l'étude des dossiers sur la Foire
Exposition. Pour la première fois, une foire aux automobiles
est organisée à la Halle, entre le 3 et le 6 juillet
1920.
Marais et Moulins de Bourges
de Robert Chaton
LA FOIRE
EXPOSITION DE 1920
Cette manifestation se déroulera
dans une Halle au blé aménagée d'une décoration
sobre, avec, toutefois, des drapeaux tricolores et des oriflammes
aux couleurs du Berry. A l'intérieur du hall central,
des sapins avaient été placés : "un
ornement de bon goût sans grand apparat".
La suite
dans l'article FOIRE : CLIQUER ICI
L'HÔTEL DES POSTES
La municipalité Laudier va se lancer,
en plus des Prés-Fichaux, dans d'autres travaux ; ce sera
le cas pour l'Hôtel des Postes. Ce bâtiment administratif
avait été commencé quelques mois avant la
guerre, mais le chantier fut abandonné à la mi-1914,
il y avait d'autres priorités. Laudier et son architecte
Tarlier vont se battre contre le Ministère afin de faire
réviser le marché : les conditions financières
d'avant 14 n'étaient plus les mêmes dans les années
1920.
La ville de Bourges avait cédé
gratuitement à l'Etat un terrain de 1764 mètres
carrés, limité par la cour de la bibliothèque,
la rue de la Monnaie, la rue Moyenne, la rue Michel de Bourges,
et le plan est en date du 17 octobre 1912. Par la suite, la Ville
avait accepté de participer à l'opération
de construction pour une somme de 30 000 francs, le tout devant
être payé en 1914, 1915 et 1916. Dans l'article
3 de l'accord, il était écrit :
"Sur le terrain cédé, l'Etat fera construire
à ses frais, un Hôtel destiné aux services
de la Poste, du Télégraphe et du Téléphone.
Les constructions seront édifiées selon les plans
du 20 avril 1913".
Mais nous sommes en 1920 et le Sous-Secrétariat
d'Etat des Postes et des Télégraphes, après
avoir ouvert à nouveau le dossier, demande une modification
de l'édifice, ce que Laudier ne veut pas ; mais surtout,
il demande que la contribution de la ville de Bourges passe à
390 000 francs, afin de poursuivre les travaux. Cette dernière
exigence est tout aussi inacceptable pour la Municipalité.
Laudier fait alors voter un texte par son conseil municipal,
compte tenu du refus du Ministère de poursuivre les travaux
tant que la ville de Bourges n'aura pas accepté l'augmentation
de sa participation. Ce vote s'effectue sur le texte suivant
:
" La ville de Bourges, respectant les termes de la convention
sus-visée, refuse toute nouvelle participation pour la
construction de l'Hôtel des Postes de Bourges, avant qu'une
conférence ait été tenue entre les représentants
de la Ville et de l'Etat..."
Suivent les mots courants à cette époque comme
aujourd'hui : "Le Ministre des Finances serre les cordons
de la bourse et impose à ses contrôleurs de n'autoriser
aucun engagement de la part de l'Etat." Le Conseil adopte
ce point de vue à l'unanimité.
Il faudra attendre l'automne, et très précisément
le 26 septembre 1921 pour que Laudier reçoive une lettre
signée du Ministre des finances, Paul Doumer. Ce futur
Président de la République explique qu'un nouvel
examen a été fait avec l'administration des postes
et "dans ces conditions, je n'insiste pas, écrit
le ministre, pour obtenir un supplément de subvention
de la part de la ville." Mais il poursuit avec une phrase
équivoque : " je me plais toutefois à espérer
que la municipalité acceptera de plein gré de prendre
sa part dans le surcroît de charges que la hausse des prix
née de la guerre a occasionné à l'Etat".
Chacun pouvait espérer que les travaux
allaient être menés avec célérité.
Il n'en fut rien. Le 28 avril 1922, le maire écrit à
M. le Sous-Secrétaire d'Etat des P.T.T. une lettre très
offensive, dans laquelle il souligne : "Je ne comprends
pas le retard systématique apporté par votre administration....
depuis un an, la maçonnerie est terminée, elle
attend sa charpente et sa couverture". Et Laudier fait dans
l'humour, avec ces mots délicieux : "Je ne voudrais
pas être désobligeant pour ceux de vos collaborateurs
mieux abrités rue de Grenelle, mais vous reconnaîtrez
que je suis autorisé à dire qu'ils ont peu de considération
pour ceux de leurs collègues moins fortunés".
Le conseil municipal est unanime derrière son maire, et
chacun de considérer que l'administration locale des P.T.T.
ne peut pas continuer à travailler dans les baraquements
de bois dans lesquels ils sont hébergés.
On retrouve cette constante dans les rapports
entre le pouvoir local et celui de Paris. Laudier sera toujours
plus enclin à travailler sur le terrain berruyer que de
pavaner à Paris ; c'est aussi une des raisons pour laquelle
il ne sera jamais ministre, ce n'est toutefois pas la seule......
C'est à cette même époque
que se construit d'une manière beaucoup plus originale,
la Bourse du Travail. Les syndicalistes d'alors décident
d'ériger dans la cour de la place Malus un bâtiment
qui servirait de lieu de réunion et de rencontre pour
le monde ouvrier. En 27 jours, du 2 au 29 septembre 1923, la
Bourse du Travail de Bourges est érigée ; ce sont
les militants communistes et syndicaux qui se sont chargés,
soir après soir, d'édifier les murs, la charpente
et les intérieurs : après leur journée de
travail en usine, ils venaient, à titre bénévole
construire "leur" Maison.
Le 29 septembre, l'inauguration se déroule avec la présence
de Venise Gosnat et de Pierre Hervier qui fut le fondateur de
la première Bourse du Travail en 1897. Ce jour-là,
ils sont plus de 2000 militants à venir admirer l'oeuvre,
sous les accents d'un spectacle donné par "la Prolétarienne".
Quelques jours plus tard, se déroulera à Bourges
le premier Congrès de la C.G.T.U., il sera placé
sous le signe de l'Unité ; et parmi les congressistes,
se trouvera un jeune délégué des mineurs
du Nord, il s'exprime pour la première fois devant ce
type d'assemblée, son nom : Maurice Thorez.
LE PALMARIUM
Dans le programme électoral de Laudier,
il y avait la recherche d'un Parc des Sports pour développer
l'éducation physique, "il est nécessaire de
posséder des muscles vigoureux, d'avoir une santé
florissante, d'habituer l'organisme à résister
aux intempéries..." Et la municipalité recherche
un terrain.
Mais il n'y a pas que le sport dans les objectifs de Laudier
et de ses amis. Ainsi, on peut suivre sur le plan culturel, un
long plaidoyer de M. Boyron, un des conseillers municipaux de
1924, il dit :
" Il est indispensable de réveiller aussi le sentiment
du Beau, d'apprendre à connaître et apprécier
les oeuvres d'art, qu'elles soient du domaine littéraire,
artistique ou musical".
Et Laudier de faire le point des salles
disponibles. Hormis le Théâtre jugé trop
étroit, il n'y a rien, que ce soit pour des raisons de
grandeur ou d'acoustique. Il faut donc une salle des fêtes,
vaste et bien agencée, d'autant plus que la création
d'une Ecole de Musique permettra d'organiser des concerts.
L'établissement connu sous le nom de "Palmarium"
a été mis en vente le 25 mai 1921 par l'étude
de Maître Paillart, et il n'y a pas d'acquéreur
; le prix demandé est de 100 000 francs. Et après
de solides et savants calculs, l'architecte de la ville a donné
son avis. Il est possible d'acquérir le "Palmarium"
pour une somme de 105 000 francs, "c'est une occasion unique
de doter la ville d'un immeuble parfaitement situé nous
permettant, dans un avenir proche, de réaliser une Salle
des Fêtes digne de notre ville. Nous ne pouvons pas hésiter".
telles sont les paroles du Maire.
Après une enquête ouverte
sur l'acquisition par la ville de cet immeuble "Palmarium",
et n'ayant donné lieu à aucune observation, le
"Commissaire enquêteur" est favorable à
cet achat qui est donc entériné le 24 septembre
1921.
LA GRANGE DES DÎMES ET L'EGLISE
A la suite de la loi de Séparation
entre l'Eglise et l'Etat, la Grange des Dîmes, cette magnifique
bâtisse située en face du portail Nord de la Cathédrale
avait été dévolue à la ville de Bourges
: l'Archevêque avait dû se soumettre. Il avait été
convenu que l'archevêché paierait une redevance
pour "reprendre jouissance" de cet immeuble.
Un accord sera signé par Laudier et le chanoine Lamoureux
en date du 15 octobre 1921, dans cet accord, le chanoine reçoit
le premier étage pour faire le catéchisme, moyennant
un loyer, alors que le rez-de-chaussée, qui fut utilisé
pour le ravitaillement, reviendra en totalité à
la municipalité. Cela s'appelle une cohabitation... et
70 ans plus tard, on reparlera de la destination de la Grange
des Dîmes.
Le diocèse de Bourges avait "digéré"
la Loi de Séparation de l'Eglise et de l'Etat, la guerre
avait apaisée les passions. Comme toutes les institutions,
l'Eglise s'était rangée dans le camp de l'Union
Sacrée. Le nouvel évêque, Dubois, qui avait
succédé à Mgr Servonnet, visitait les blessés
dans les hôpitaux, organisait le comité qui travaillait
à la recherche des prisonniers ou disparus, et surtout,
il multipliait les prières dans les Eglises. Si 275 prêtres
furent mobilisés, la crise des vocations se poursuivait
et Bourges avec le conflit redécouvrait son clergé,
il arrêtait ses mesquineries contre la République
qu'il admettait enfin et jouissait alors de la sympathie de la
population.
Mgr Dubois quitte Bourges en 1916, il est
remplacé par Mgr Izart, un homme venant du Languedoc.
Ce nouvel évêque est un traditionnaliste, très
attaché à la gloire de l'Eglise. Il va beaucoup
s'intéresser à la canonisation de Jeanne de France,
puis à celle de Jeanne d'Arc. La théologie est
son point fort, et dans une cité ouvrière comme
Bourges, il y a comme un fossé entre l'évêque
et ses ouailles. Politiquement, Mgr Izart est situé très
à droite, dans la mouvance de l'Action Française.
Il est hostile à toute proposition dans le domaine social.
Comme l'écrit Guy Devailly, que l'on peut taxer d'auteur
catholique :
"Mgr Izart n'apprécie pas que son clergé se
lance dans l'action sociale. Il est bien vu d'un certain nombre
de notables traditionnels, mais avec l'âge, ces tendances
s'accentuent et contribuent à l'isoler, tant au milieu
de l'épiscopat français qu'à l'intérieur
de son diocèse; son administration se relâche et,
dans certains secteurs, il tolère des situations lamentables,
sinon scandaleuses".
Ces mots sont écrits par un fervent catholique, les réactions
des anti-cléricaux .... ne sont pas publiables !
A cette époque, les aspects religieux
ne font pas la "une" des journaux, d'autres préoccupations
sont, semble-t-il, plus essentielles, c'est le cas des logements.
Dans ce domaine des problèmes de construction et de logement
deux hommes ont pris à bras le corps le moyen de résoudre
le manque d'habitations. Le premier se nommait Loucheur, sa loi
est connue de bien des locataires, le second est Henri Sellier,
c'est un Berruyer.
Le diocèse de Bourges par Devailly
HENRI SELLIER, LE MINISTRE BERRICHON
Henri Sellier naît à Bourges
le 22 décembre 1883 ; son père est ouvrier aux
Etablissements Militaires.
Il s'en va très vite à Paris pour suivre des études
de haut niveau. Il réussit parfaitement à H.E.C.
avant de faire son Droit. Il est boursier, car il n'y a pas beaucoup
d'argent dans la famille. En 1898, il s'inscrit au Parti Socialiste
Révolutionnaire d'Edouart Vaillant, un autre Berrichon.
Son circuit professionnel commence dans la banque où il
devient employé, avant d'entrer au Ministère du
Travail comme rédacteur. La politique au début
du siècle le passionne. Il n'oublie pas son département
du Cher et oeuvre en 1905 pour la réunification des familles
socialistes alors divisées.
L'année où Laudier prend la mairie de Bourges,
Sellier, lui, s'empare de celle de Suresnes. En 1920, il choisit
le camp des "reconstructeurs" et suit la majorité
S.F.I.C. après le Congrès de Tours ; il devient
donc Communiste. Ce n'est qu'en août 1924 qu'il revient
à la "Maison S.F.I.O." ; quelques années
plus tard, il devient Président du Conseil Général,
puis Sénateur de la Seine.
C'est dans le domaine de l'urbanisme qu'Henri
Sellier montre toute sa compétence. Dès 1916, il
est administrateur de l'OPHBM de la Seine et il constitue autour
de lui une équipe comprenant des architectes et autres
hommes de l'Art. Il acquiert des terrains pour construire plus
tard des cités-jardins. Henri Sellier anime alors plusieurs
Offices et autres organismes d'habitations. En 1920, il est secrétaire
de l'Union Nationale des organismes d'habitations à loyers
modérés. Sa thèse principale date de 1921
; il publie en effet "la crise du logement et l'intervention
publique en matière d'habitat populaire", puis devient
le fondateur de l'Association Française pour l'urbanisme.
Son oeuvre restera dans l'histoire celle de la création
des cités-jardins, qui seront des pôles d'attraction
résidentiels implantés en fonction du marché
du travail. Les cités-jardins constituent des ensembles
urbains dans lesquels on réunit des groupes d'individus
avec leur famille afin de créér de toutes pièces
une cité. Il s'agit de régénérer
le tissu urbain. Henri Sellier écrira :
" L'urbanisme social se doit d'organiser
un meilleur aménagement de l'humanité, vers un
niveau de lumière, de joie et de santé, un meilleur
rendement économique car il y a urgence à défendre
la race dans tous les domaines contre la certitude de dégénérescence
et de destruction que les lamentables statistiques de la natalité,
maladie, mort, laissent apparaître : 18 % de la perte du
revenu national est due à la maladie".
Dans son action, Sellier cherchera aussi
à "redresser les mentalités". Il va appliquer
des règles sociales et des grilles de sélection
"des candidats" au logement. Le service social de l'OPHBM
se chargera de mesurer par exemple le taux de rotation des habitants
d'une cité pour évaluer la stabilité et
rectifier les écarts avec les normes. Dans l'entre-deux
guerres, Sellier sera à l'origine de onze cités-jardins
créées autour de Paris.
Cet homme sera un militant de l'urbanisme
"à visage humain" et à Bourges, il viendra
éclairer de ses conseils les socialistes locaux, dont
Laudier.
Sur le plan politique, Henri Sellier militera
le reste de sa vie à la S.F.I.O., et il sera ministre
de la Santé de 1934 à 1937 ; il ne prendra pas
part au vote pour la déchéance des députés
communistes ni au vote donnant les pleins pouvoirs à Pétain.
Il meurt le 23 novembre 1943, alors que deux ans auparavant,
le gouvernement Pétain l'avait révoqué de
son poste de maire, la ville de Bourges a donné son nom
à une des rues du centre-ville.
L'OFFICE D'HABITATIONS A BON MARCHE
Une des oeuvres essentielles de la municipalité
Laudier se concrétisera dans le domaine du logement. La
crise du logement à Bourges depuis la fin de la guerre
est des plus aiguë. Les causes sont diverses. C'est d'abord
le fait que depuis une dizaine d'années, pas ou peu de
logements ont été construits ; ensuite, de nombreuses
personnes ayant quitté Bourges pour retourner dans leur
ville d'origine - situées dans le Nord ou l'Est - conservent
à Bourges le logement qu'elles ont occupé pendant
le conflit. Enfin, comme le rappelle Laudier le 23 octobre 1920,
" beaucoup de nos concitoyens qui s'étaient gênés
au possible pendant la guerre, pour faire place aux passagers,
ont tenu à reprendre leurs aises dès la guerre
terminée".
Pour lutter contre ce manque de logements, Henri Laudier envisage
la création d'un Office public d'Habitations à
Bon Marché. Il s'agit de l'ancêtre de nos H.L.M.
; on les appellera les H.B.M., Habitations à Bon Marché.
C'est un établissement public placé par exemple,
auprès d'une commune, et chargé de l'aménagement
et de la création de maisons, mais aussi de l'aménagement
extérieur, nous dirions d'environnement, avec, par exemple,
les cités-jardins et jardins ouvriers.
Le décret du Président de
la République, Alexandre Millerand, signé à
Fez le 12 avril 1922 stipule dans ses articles :
" Il est créé un Office public d'habitations
à bon marché pour la ville de Bourges (Cher).
Sont approuvées les délibérations du conseil
municipal de Bourges."
La gestion est assurée par un Conseil
d'Administration de 18 membres et d'un bureau de 6 membres. Le
conseil municipal délibère et vote la demande de
cette création, et, en cas de réponse positive,
il vote une première dotation en numéraire de 10
000 francs, ainsi qu'une subvention annuelle de 1000 francs.
L'acceptation de cet Office est confirmé dans les semaines
suivantes, et le Conseil d'Administration se réunit le
22 septembre 1922 à 16 heures pour la première
fois. Le Conseil procède à l'élection du
bureau : Laudier est élu Président, Durand est
Vice-Président, et le Docteur Matet occupe la fonction
de Secrétaire. Dès cette première séance,
le but de l'office est défini : "c'est d'acquérir
et de construire des habitations conformes aux règles
d'hygiène et au confort moderne, d'en rester propriétaire
et d'en assurer la gérance et la jouissance au mieux des
intérêts de la collectivité".
Dès la fin de l'année 1922, les premiers terrains
sont acquis par l'O.P. d'HBM ; ce sont 423 mètres carrés
à l'angle de la route de La Charité et de celle
de Saint-Michel-de-Volangis ; sur cette surface, 8 à 10
logements pourraient être construits.
Comme le rappellera Roger Richet, les H.B.M.
avaient leur siège au 45 de la rue Moyenne, adossé
à l'actuelle perception ; il y avait là un directeur,
Louis Martin, et un comptable, Robert Filleux, qui deviendra
à son tour directeur quelques années plus tard.
Les H.B.M. seront les maisons du boulevard Auger, côté
des numéros impairs, puis celles du côté
pair, enfin la cité de l'Aéroport, sur laquelle
nous reviendrons et plus tard encore, les constructions du Beugnon
et du Moulon.
Au cours d'une séance du Conseil
d'Administration en date du 12 septembre 1923, Henri Laudier
présente Monsieur Henri Sellier, alors secrétaire
général de la Fédération des Offices
publics d'H.B.M., qui est venu à Bourges "prodiguer
ses conseils éclairés et aider au bon fonctionnement
de l'Office local", comme le dira le Maire dans un propos
d'accueil. En effet, Henri Sellier explique la méthode
à suivre pour réunir les moyens financiers ainsi
que des éléments précis nécessaires
à la constitution des dossiers.
Il y a donc d'importants besoins en logements, aussi bien sur
le plan quantitatif que qualitatif. La rénovation des
anciens quartiers est d'un coût fort élevé.
Pourtant la population de Bourges reste relativement constante,
si l'on excepte la guerre de 1914 -1918. En 1921, il y avait
45 942 habitants et 45 067 en 1926 ; c'est sensiblement le même
chiffre qu'au début du siècle ( 43 587 en 1896,
46 551 en 1901 et 44 133 en 1906). Il est même possible
d'affirmer que durant quarante ans, la population de Bourges
est restée très stable. L'expansion démographique,
comme me l'a souligné Philippe Goldman, ne commencera
qu'à partir de 1931.
Le problème du logement à
Bourges sera constant pendant tout le siècle. Avec la
circulation automobile et ses conséquences, il utilisera
beaucoup d'énergie, laissant de côté les
aspects économiques de la cité.
On cherchait à loger les vivants, sans négliger
toutefois, la dernière demeure des disparus.
LE MONUMENT AUX MORTS DE BOURGES
Après la guerre, entre les morts
du conflit et ceux emportés par la grippe espagnole, on
se préoccupa des cimetières de la Ville et de leur
extension. Le cimetière Saint-Lazare ne comprenait que
la partie basse, et depuis 1871, un projet d'extension avait
été étudié. Ce n'est qu'à
partir de 1908 que ce projet commença à se réaliser.
Pendant la période de 1914 à 1918 , il fut effectivement
agrandit avec 8 massifs et 1284 fosses pour l'inhumation des
militaires français, alors que 56 fosses étaient
nécessaires pour les soldats allemands. Il est à
noter qu'une espionne repose à Saint-Lazare, dans une
fosse isolée : il s'agit de Ottlie Woss, fusillée
à Bourges en 1915 à la suite de la condamnation
par le Conseil de Guerre..
L'autre cimetière berruyer créé dans la
première partie du XXe siècle est celui du Lautier,
avec un "t" et non un "d" ; il était
à la sortie sud de Bourges, sur la route d'Issoudun. Le
projet remontait à 1907, et l'année suivante, après
l'acquisition des terrains, les premières fosses étaient
creusées. Avec le plus ancien cimetière de Bourges,
celui des Capucins, remarquable au plan artistique et historique,
en 1920, la ville de Bourges possédait trois grands cimetières.
Comme toutes les communes de France, Bourges
n'était pas disposée à oublier les morts
de la Guerre de 14, ces valeureux Poilus qui se sont ou ont été
sacrifiés. Dans tout le pays "fleurissent" des
Monuments aux Morts, et Bourges n'échappe pas à
cette règle.
Dès 1919, un comité se forme pour l'érection
d'un Monument. Le Président en est Jean Foucrier, il pleure
son fils. Ce comité est chargé de recueillir de
l'argent. En cette période, pour honorer leurs morts,
les Berruyers ne se font pas prier, ni le conseil municipal qui
vote, sous l'impulsion de Laudier, une subvention d'une valeur
de 500 000 francs.
La recherche d'un sculpteur ne sera pas
facile, mais un homme se détache ; c'est un artiste né
à Saint-Amand ; il commence à avoir plusieurs commandes
de la part des communes du Cher. C'est cet homme, Emile Popineau
qui est choisi.
Le monument est important, en pierre taillée ; il représente
des "Poilus", dont l'un, placé à droite,
semble "satisfaire un besoin naturel" ; Popineau était-il
un grand réaliste ou un humoriste ? nul ne sait. Le choix
du lieu ne posera aucun problème... dans un premier temps,
l'oeuvre est placée en face de l'Abbaye Saint-Ambroix,
juste devant ce qui deviendra dix ans plus tard, le Jardin des
Prés-Fichaux. A cet emplacement, aujourd'hui, a été
placée une table d'orientation.
L'inauguration du Monument aux Morts va se dérouler dans
toute la solennité dûe aux victimes de la guerre,
le 29 mars 1925. L'ensemble de la population sera présente.
Depuis cette date, le Monument de Popineau
a été déplacé, car le sol était
mouvant, compte tenu de la proximité des marais ; et la
pierre, c'est lourd ! Mauvais présage diront certains.
En final c'est pierre par pierre que les poilus de pierre seront
déplacés de 50 mètres dans ce qui est aujourd'hui
le prolongement de l'avenue Henri Laudier, face à la gare.
LAUDIER REELU MAIRE DE BOURGES
Après la défaite de 1924
aux élections législatives, il n'était pas
évident pour Laudier, un an plus tard, de rester premier
magistrat de la ville. Souvent, la défaite appelle la
défaite.
Laudier se présente avec une liste
dite "d'Union Républicaine et Socialiste" ;
elle comprend Louis Vatan, le Franc-Maçon, en second sur
la liste, mais aussi Georges Lamy, Auguste Demmer, le Docteur
Jules Fauconneau et Sylvain Pichonnat. Le Maire sortant est opposé
à deux autres listes :
- Celle conduite par Dumarçay "père"
: elle est de droite et comprend de fortes personnalités
comme Achille Chédin, chef d'entreprise d'une fabrique
de toiles cirées, Raymond Magdalena, le "patron"
de Rosières, Rémy Lice ou Georges Tavernier.
- Celle du parti Communiste, emmenée par Maurice Boin.
La liste des personnalités communistes est impressionnante,
il y a Venise Gosnat, Gaston Cornavin, Auguste Virmot, Pierre
Hervier, des noms caractéristiques et importants de la
gauche de l'entre-deux-guerres.
La campagne électorale est assez
calme, et à Bourges comme ailleurs, les listes placées
sous le patronage "du Cartel des Gauches" sont rares.
On ne veut pas effaroucher l'électeur, le combat est bien
de type Gauche-Droite. Parmi la nombreuse littérature
de cette période de mai 1925, retenons cette lettre publique
de la liste Dumarçay à propos du programme de Laudier,
largement diffusé dans la presse :
"...Le rapport d'activité municipale est une avalanche
de chiffres et de détails, aussi oiseux que fastidieux
; ils noient à dessein, les questions gênantes.
La taxe fameuse de balayage, dont l'impopularité égale
à Bourges, la popularité spéciale de la
balayeuse, le centime additionnel passé de 96 à
245, procède de la même "haute incompétence"...
Le programme futur et mirifique ignore les basses contingences
des nombreux centimes, droits.... sur lesquels le Grand Ordonnateur
et seul Autocrate, que vous êtes, M. Laudier, laissera
tomber un coup d'oeil aussi distant que dédaigneux....
Le Roi Laudier dit simplement, voici la carte, payez!"
Les attaques fusent de toute part, et il
est reproché au maire de renier l'étiquette Cartel
des Gauches, et de se "camoufler" derrière les
mots "Républicains" et "Union". De
plus, Dumarçay, qui a l'électorat catholique avec
lui, signale que "M Laudier et son pieux acolyte Vatan se
vantent de leurs complaisances religieuses" alors qu'ils
ont fait enlever les Christ de l'Hôtel-Dieu......
Les réponses de Laudier sont de
la même veine, avec cette fois encore, la Franc-Maçonnerie
au premier plan des préoccupations. Le maire de Bourges,
dans une lettre publiée par La Dépêche du
Berry le 2 mai 1925, accuse Dumarçay de reniements. Il
lui est reproché d'avoir demandé et obtenu son
admission dans la Loge Maçonnique ; puis, après
avoir obtenu ce qu'il voulait, Dumarçay avait quitté
l'ordre. Les Francs-Maçons ne lui avaient pas pardonné,
il est traité de "franc-maçon éphémère",
puis de "radical-socialiste honteux et repenti" ; Laudier
s'en donne à coeur joie, et rappelle que lui, "Laudier,
est membre du Parti Socialiste depuis 1895, et "j'en suis
fier" ajoute-t-il en concluant par ces mots : "je n'ai
jamais varié dans mes opinions. Pouvez-vous jeter un même
regard sur un aussi long passé d'attachement et de fidélité
à un même idéal ?" Ces paroles datent
de 1925. Le parcours politique de Laudier ne sera pas plus droit
que celui de Dumarçay, les reniements seront aussi son
lot.
Le premier tour des élections donnera une large victoire
à la liste Laudier, devant celle de Boin, avec 1000 voix
d'avance en moyenne, alors que la liste de Droite est balayée
; elle a 2000 voix de moins que les socialistes, il y a alors
11 840 inscrits. Le second tour est sans surprise, tous les membres
de la liste Laudier sont élus. Laudier avait obtenu le
plus de suffrages au premier tour, avec 4518 voix il devançait
des colistiers de 200 voix ; mais au second tour, il n'arrivera
qu'en 24e position, ce qui signifie qu'il a été
beaucoup "rayé". En fait, il a la confiance
totale de son camp, mais les électeurs de droite qui se
sont portés sur les socialistes pour empêcher les
communistes d'accéder à la mairie, faisant ainsi
monter les chiffres de 4000 à 6000, se méfient
de Laudier qui prend trop d'importance et pourrait bien être
indéracinable.
Lors de la première réunion
du Conseil Municipal, Laudier est réélu maire par
31 voix sur 32, alors que Louis Vatan, Franc-Maçon connu,
devient premier adjoint et Georges Lamy second adjoint. Dans
son discours traditionnel après son installation, Laudier
signale que le scrutin passé signifie que tous les engagements
de 1919 ont été respectés, puis il fait
l'éloge du citoyen Louis Vatan, "d'esprit droit,
un peu rigide" qui accomplit en toute circonstance son devoir
avec une "inflexible rigueur". Enfin, Laudier termine
par un encouragement envers ses 31 collègues pour qu'ils
restent unis et "travaillent avec une même volonté,
d'un même coeur au bien de notre chère Ville de
Bourges .... Vive la République laïque, démocratique
et sociale".
Bulletin Municipal Officiel
1925
Dépêche du Berry d'Avril et Mai 1925
Archives Grand Orient de France
GRANDS
TRAVAUX ET GRANDES DECISIONS 1926 / 1930
Vers un Musée d'Histoire Naturelle
Laudier le bâtisseur
L'Hôtel des Postes
La bataille pour l'Aéroport
Les Nouvelles Galeries flambent
L'aventure des Prés-Fichaux
Laudier et les mandats électoraux
Laudier Sénateur-Maire
L'Ecole Nationale Professionnelle de Jeunes Filles
Le Plan d'aménagement de la Ville de Bourges
L'économie Berruyère
Sports et musiques
1926, la France se lance dans le "Charleston"
; il fait fureur dans les dancing de la capitale alors que de
fins connaisseurs pleurent un des grands du Music-Hall : Louis
Benech est mort, on lui doit "L'Hirondelle des faubourgs",
"Riquita" ou encore les célèbres "Nuits
de Chine". Le cinéma propose l'adaptation de Nana,
un film de Jean Renoir que les Berruyers vont aller voir à
l'Alhambra.
Les années folles commencent, ce sera à la fois
l'insouciance... et la valse des ministères. Herriot,
Doumergue ou Poincaré se disputent la charge du gouvernement.
Outre-Rhin, un petit homme moustachu domine un congrès
du parti national-socialisme. Pour la première fois, le
4 juillet 1926, la presse parle d'un certain Adolf Hitler.
A Bourges, le chansonnier Jean Rameau abandonne la rue Mirebeau
et se retire dans l'Indre, tandis que la statue de Louis XI s'offre
un nouveau voyage, elle quitte la Place Berry pour aller près
de la Poste en cours d'édification. Car cette période
est celle des grandes décisions et des grandes constructions.
Pour cela, Laudier saura s'entourer de fortes personnalités,
comme Mgr Foucher qui devient le Directeur du Muséum de
Bourges, l'histoire du libre-penseur et du monseigneur.
VERS UN MUSEE D'HISTOIRE NATURELLE : CLIQUER ICI
LAUDIER LE BATISSEUR
Un des grands mérites de Laudier,
ce fut d'être concret. Il va appliquer scrupuleusement
un plan d'ensemble qu'il avait en permanence à l'esprit.
Mais il voit plus loin ; en juillet 1923, il décide de
faire étudier par ses chefs de services, des enquêtes
sur plusieurs villes du pays ; c'est ainsi que sur la voirie,
il reçoit un rapport sur la ville de Roanne, "cette
ville d'une population équivalente à celle de Bourges
est une cité industrielle". Les rapports se succèdent
avec Lyon , Saint Etienne et quelques autres cités.
Son objectif est de permettre à Bourges de devenir une
grande cité. Robert Verglas rapporte qu'en 1919, la ville,
après la poussée démographique énorme
due à la guerre, riquait de connaître un tassement
grave de son activité générale et de retrouver
peut-être l'atomie du passé et le spectacle qui
avait désolé Jules Sandeau de "ces rues désertes
où l'herbe croît entre les pavés". Laudier
voulait moderniser et toiletter Bourges, en 1927, dans un long
rapport lu au conseil municipal, on trouve ces lignes :
"L'entretien des voies pavées et macadamisées
par des procédés modernes fut étudié
et réalisé peu à peu ; par l'arrosage et
le goudronnage, on entamait la lutte contre la poussière,
la mise en oeuvre d'une balayeuse-arroseuse et d'un matériel
de goudronnage permettait de répondre à cette partie
du programme.... Bientôt, la ville sur un certain nombre
de voies allait se voir réaliser "la toilette de
nuit" en échange du paiement par les riverains d'une
taxe de balayage."
Laudier avait aussi une vision assez originale
pour l'époque des espaces verts. Il voulait créer
des jardins partout où cela était possible. Il
fait faire le jardin de la rue de Dun en 1922 et dès l'année
suivante, c'est l'ouverture au public du jardin du Palais de
Justice. L'inauguration se déroula le 25 juin 1923, en
présence de Monsieur Marcel Aubert conservateur du Musée
du Louvre, qui était un très grand archéologue
et nous rapporte Philippe Goldman le meilleur spécialiste
de l'art cistercien. M. Aubert remplaçait Paul Léon,
le Directeur des Beaux Arts au plan National, ce dernier s'étant
décommandé... ce sera une habitude chez ce distingué
personnage.
Sur l'emplacement de l'ancien Grand Séminaire de Bourges,
"ce jardin est ouvert au public ; quand les tilleuls auront
retrouvé leurs rameaux, ils donneront une certaine fraîcheur
à ce parc, joliment exposé en ce moment aux ardeurs
du soleil... pour le moment l'ombre fait défaut et les
plates-bandes commencent seulement à verdir. Un petit
bassin orne le milieu du jardin " telle est la description
du Journal du Cher au lendemain de l'évènement.
Après ce jardin du Palais de Justice, en 1924 sera ouvert
celui de l'abside de la Cathédrale puis, la même
année, le jardin du Palais Jacques Coeur et le square
de l'avenue de la Préfecture.
Mais Laudier ne se contentera pas d'inaugurer des jardins, et
après celui "de la Poste", en 1925, il s'occupera
du bâtiment lui-même, l'Hôtel des Postes, dont
il faut reparler, l'histoire de cet édifice va durer de
1910 à 1930. Pendant une vingtaine d'années, chacun
à Bourges s'interrogera sur le sérieux de cette
opération.
L'HÔTEL DES POSTES
Il ne fait aucun doute que parmi les bâtisses
construites sous le mandat d'Henri Laudier, celle qui lui donnera
le plus de mal est bien l'Hôtel des Postes. L'histoire
récente de cet immeuble remonte à 1897. A cette
époque, la municipalité désirait installer
les Postes et les services financiers de l'Etat dans la caserne
Condé, ainsi que ses services municipaux. Ceci nécessitait
une entente avec le ministère de la Guerre.
Ce projet ne va pas aboutir et finalement, en 1912, une convention
est signée entre l'Etat et la Ville pour construire un
Hôtel des Postes rue Moyenne (en réalité
rue de la Monnaie), et en février 1914 les travaux sont
adjugés. La guerre survient et les travaux furent stoppés
pour ne reprendre que vers 1919. Par la suite, ce seront des
années de palabres, de discussions stériles, d'accords
partiels... et c'est ainsi que la construction va durer 12 ans.
L'inauguration de l'Hôtel des Postes
se déroulera le 30 juin 1926, pour la clôture de
la VIIe Foire Exposition. Le cortège qui avait procédé
à la visite de la Foire, avec la présence de M.
Drouets, Directeur de la Propriété Industrielle
se retrouva Salle du Duc Jean pour un banquet dans le plus pur
style de la 3e République. Le Menu de ce banquet préparé
par le Berrichon Vatet comprenait :
Les Gondoles à la Condé
Le Saumon de Loire à la Néva
Les Gigots d'Agneau du Berry
Le Chevreuil à la Grand Veneur
Les Poulardes roties au diamant
La Salade de coeur de laitue Charles VII
Les Petits Pois du Jardin à l'étuvée
Entremets
Parfait Agnès Sorel
Gaufres de la Maison de Jacques Coeur
Fruits
Mignardises et friandises
Les vins seront en Carafe, du Sancerre
et du Chavignol, puis du Pommard et enfin le banquet se terminait
par du Champagne, du café et des liqueurs. Il fallait
une sacrée santé à cette époque pour
honorer ces banquets.
Après les discours d'usage, le cortège
va se reformer et se rendre à pied, au son des vielles
et cornemuses, par la rue Mayet-Génetry vers le nouvel
Hôtel des Postes. La foule est considérable et les
autorités sont reçues par Monsieur Taillemitte,
le Directeur départemental des PTT, le receveur des Postes
étant Monsieur Sages. Le premier discours de M. Taillemitte
est descriptif :
"... Bourges va se doter d'un nouveau
monument qui ne déparera pas ses joyaux : la Cathédrale,
Jacques Coeur, l'Hôtel Lallemand, la Maison de Cujas.
Aujourd'hui, cet Hôtel des Postes ne sera pas seulement
un autre fleuron artistique, mais à un point de vue utilitaire,
il remplira le but que doit atteindre un moderne Hôtel
des Postes. Il procurera au public toutes les commodités
que celui-ci est en droit d'exiger des services postaux, télégraphiques
et téléphoniques."
Puis ce fonctionnaire décrit la
salle d'attente, spacieuse et bien éclairée, avec
les nombreux guichets, il insiste sur le confort pour les employés,
et l'utilisation d'outillages neufs. En particulier, il évoque
le service téléphonique muni d'un "multiple
à batterie centrale".
A l'issue de ce premier discours, c'est
Henri Laudier qui prend la parole. Il revient sur les douze dernières
années de lutte, mais il remercie le gouvernement pour
avoir donné à la ville un monument digne d'elle.
Aujourd'hui encore, le touriste pressé et peu documenté,
en passant devant "La Poste de Bourges", est souvent
persuadé de se trouver face à un monument datant
de la période de Jacques Coeur, c'est à dire du
XVe siècle !
Laudier avait aussi compris qu'une ville ne peut pas se développer
sans un secteur industriel très fort. Aussi, il sera à
l'affût de chaque possibilité de pouvoir créer
une fabrique ou une usine. C'est ainsi que Bourges va se doter
d'une industrie aéronautique de premier rang en France
: ce sera à partir de la fin de 1927, la Bataille pour
l'Aéroport.
LA
BATAILLE POUR UN AEROPORT : cliquer ici
LAUDIER
SENATEUR-MAIRE
Les élections sénatoriales
sont prévues pour le mois d'octobre 1929, avec le renouvellement
de trois sièges : ceux de Pajot, Breton et Mauger. Mais
le 5 février 1929, le doyen Radical du Sénat Christophe
Pajot, âgé de 85 ans, meurt. Il y aura donc des
élections partielles, elles se dérouleront le 7
avril 1929.
Laudier se présente, il n'est pas
seul en liste ; d'autres, comme Plaisant, Soubirant et Durand
le communiste sont aussi sur les rangs. Dans sa profession de
foi, Laudier dramatise la situation locale :
"Notre département a été ces temps-ci
très touché et il est grand temps que des hommes
énergiques se dressent pour lui faire reprendre un rang
qu'il n'aurait jamais dû perdre.
Sans fausse modestie, je pense être un de ces hommes là..."
Dans cette campagne, le maire de Bourges
met l'accent sur son action municipale ; en particulier, il insiste
sur la Première Ecole Nationale Professionnelle pour Jeunes
Filles, qui doit ouvrir en octobre. Son programme électoral
comprend :
- une nouvelle législation en matière d'accidents
du travail
- des lois laïques selon l'esprit de la Révolution
Française
- la mise en grande section du canal de Berry
- l'extension de l'Aéroport de Bourges
Et Laudier termine ses propos par un vibrant :
"Je suis un enfant du peuple".
A l'issue du premier tour de ces sénatoriales,
Plaisant arrive en tête avec 314 suffrages, loin devant
Soubirant ; Laudier avec 142 voix n'a aucune chance de gagner.
Au second tour, il se désiste pour Marcel Plaisant et
La Dépêche du Berry écrira à ce propos
:
"Plaisant est élu à une majorité considérable,
le citoyen Laudier n'a pas obtenu le chiffre qu'il escomptait,
il est vrai qu'il n'avait pour ainsi dire pas fait de campagne
électorale".
Une défaite de plus pour Laudier,
mais il pense qu'il lui faut un mandat national. Ce sera une
constance pour les "Grands" maires de Bourges ; il
est inconcevable, dans un pays jacobin et centralisé comme
la France de bien gérer une municipalité importante
sans un mandat national... et donc parisien ; c'est un triste
constat !
En attendant, quelques jours après
cette élection sénatoriale, Laudier se représente
pour un mandat de maire. C'est en quelque sorte l'épreuve
de vérité. Il va être jugé sur ses
réalisations concrètes, et le vote de ses Berruyers
est de la première importance. La liste du maire sortant
est Socialiste S.F.I.O. ; elle est opposée à deux
listes de droite emmenées par Autrand et Foucrier, alors
que le Parti Communiste présente la sienne.
L'électeur a d'ailleurs de quoi se perdre dans les appelations.
Laudier se présente comme "Républicain et
Socialiste", avec Vatan, Lamy, Rougeron et Monard ses fidèles
au conseil municipal sortant, on note la présence d'un
"petit nouveau" : Charles Cochet, alors que Jean Foucrier,
le patron de la Dépêche emmène une liste
appelée officiellement "Union des Gauches",
il y a Dumarçay, Magdalena Augustin Durand et Griffet
; c'est en fait une liste de "centre-gauche" à
tendance radicale et elle s'oppose à la liste de Jean
Autrand, dite "de Concorde Républicaine et Sociale".
Foucrier, évoquant cet adversaire, écrira qu'il
s'agit d'une liste de "l'Union des Droites". "Une
mère gorette n'y retrouverait pas ses petits", pour
reprendre une expression berrichonne. Le Parti Communiste est
emmené par Gaston Cornavin, avec Alexandre Guillot, Pierre
Hervier, Louis Buvat et Marcel Cherrier. Pour sa part, Maurice
Boin se présente en candidat isolé. Trois listes
de "gauche" et une "sociale", en fait, l'électeur
ne retiendra que le nom du premier de liste.
Au soir du 5 mai 1929, la liste Laudier
est largement en tête avec une moyenne d'environ 3500 voix
contre 2700 à celle de Jean Autrand. L'Union des Gauches
de Foucrier arrive loin derrière avec 1200 voix. Quant
aux Communistes ils sont eux aussi les grands perdants, ils ne
font que 1800 voix. Maurice Boin à lui tout seul obtient
3196 voix, une belle revanche. Il sera élu au second tour,
alors que la liste Laudier est élue en entier moins 1
siège, celui d'Etienne Desmoulières. Ce sera le
début d'une collaboration étroite entre Laudier
et Boin. En fait, ils viennent tous les deux du même horizon
: celui de l'extrème-gauche et de l'Emancipateur. Ils
vont apprendre à se connaître et dans l'équipe
municipale, Boin sera un des seuls à s'opposer de manière
sérieuse et argumentée au maire. Laudier lui en
sera gré, son entourage n'avait pas la force qu'il aurait
peut-être souhaité. Pendant toute son activité
municipale, les hommes de caractère qui le cotoyèrent
furent peu nombreux : Jongleux et Verglas comme Secrétaires
de mairie, Boin et Cochet comme conseillers municipaux. En fait,
Laudier sera un homme seul.
Au nombre des suffrages obtenus, Laudier
arrive à la 29e place sur 32, il a eut 500 voix de moins
que ses deux adjoints, sa forte personnalité ou son autoritarisme
ne plaisent pas à tous les Berruyers. Les électeurs
de Foucrier se sont portés massivement sur la liste du
maire sortant, ils ont fait la décision.
Laudier peut poursuivre son action de constructeur. Dans "Terre
de Lutte", les résultats du Parti Communiste sont
bien analysés. Le P.C. perd 50% de ses voix, et l'exclusion
du Parti de Boin, ancien Rédacteur en Chef du journal
communiste L'Emancipateur, le 3 janvier 1929, a eu une fâcheuse
influence sur les militants assez désorientés.
A l'élection du maire, Laudier obtient 30 voix, et il
y a deux bulletins blancs. Dans son discours d'installation,
Laudier revient indirectement sur son faible score personnel
:
"Je vous sais gré de cette nouvelle désignation
qui, sauf accident imprévu, me portera à quinze
années consécutives de Mairat, car à la
vindicte aveugle et implacable dont m'ont poursuivi nos adversaires
au cours de la campagne électorale, vous devez mesurer
l'étendue de vos responsabilité.... Il est vraiment
fâcheux que la passion politique puisse égarer des
citoyens jusqu'à les faire s'abaisser à l'emploi
de moyens aussi vils et aussi méprisables"
Vainqueur des Municipales, mais défait
en avril 1929 pour aller siéger au Palais du Luxembourg,
Laudier se représente aux sénatoriales normales
du 20 octobre de cette même année. Au premier tour,
ils sont 11 candidats, les plus crédibles sont Plaisant,
Mauger, Laudier, Gestat, Perraudin et Breton ; il y a trois sièges
à pourvoir. Les "Grands Electeurs" sont au nombre
de 700, et des trains spéciaux ont été mis
en place par la Compagnie d'Orléans afin de faciliter
la venue à Bourges des électeurs en provenance
de tous les villages du département du Cher.
La campagne électorale, généralement calme
pour une "sénatoriale", est assez violente.
Dans une réunion du 21 septembre, Breton peut difficilement
s'exprimer, il est interrompu par des militants communistes venus
en nombre à ce meeting du parti Républicain Socialiste.
Breton est traité de "mal élu" et d'arriviste",
et lorsque Gaillard du P.C. s'exprime, ses paroles sont assez
conformes aux discours de l'époque :
"le pouvoir sera renversé à coups de fusils,
quant aux partis politiques, sauf, bien entendu, le parti révolutionnaire,
ils ne sont que pourriture parlementaire et donnent leur appui
à Tardieu, l'homme crapule et voleur".
Au premier tour, seul Plaisant est élu.
Pour le second tour, alors que beaucoup attendent l'élection
de Gestat, c'est Laudier qui l'emporte. Il a récolté
409 voix, et arrive juste derrière le sénateur
sortant Mauger. A la surprise presque générale,
le candidat Henri Laudier, encore sous l'étiquette Socialiste
S.F.I.O., se retrouve sénateur. Il reprend un mandat national.
Le mois d'octobre 1929 est à marquer d'une pierre blanche
pour Laudier. Après un siège de sénateur,
il va enfin ouvrir la Première Ecole Nationale Professionnelle
en France pour Jeunes Filles.
Documents Archives Départementales
du Cher 19 M 10 et 19 M 11
L'ECOLE NATIONALE PROFESSIONNELLE
DE JEUNES FILLES
Parmi les projets qui lui tenaient à
coeur, il en est un qu'Henri Laudier va mener à bien avec
une fougue toute particulière : c'est la mise en oeuvre
d'une Ecole Nationale Professionnelle pour Jeunes Filles.
Ce premier établissement s'ouvre
pour la première fois le lundi 14 octobre 1929, avec deux
semaines de retard par rapport aux prévisions. L'aménagement
des locaux n'était pas terminé le premier octobre.
Bien sûr, tout n'est pas en état, mais comme le
rapporte la presse, "les parties indispensables au fonctionnement
des cours et des services sont finies, et c'est l'essentiel".
Le personnel enseignant est là, au complet ; les cours
dans cette nouvelle école ont une durée de 4 ans,
et cette année, il n'y aura qu'une première et
une troisième année, "les exigences des études
ne permettaient pas de faire mieux". Ce n'est qu'à
la rentrée de 1930 que les quatre années seront
pourvues. L'école se donne pour objectif de former des
jeunes filles à la vie professionnelle ; signalons parmi
les premières classes, le début de la section des
aides-chimistes.
Le journaliste de la Dépêche
du Berry qui écrit quelques lignes sur le sujet termine
par cette belle envolée :
" Le bel et vaste établissement de la rue de Dun
est devenu une véritable ruche où règne
le labeur fécond".
Cette fois encore, pour Laudier et son
équipe municipale, ce fut un travail acharné.
Les premières esquisses de ce qui
deviendra une Ecole Nationale Professionnelle de Jeunes Filles
remontent à 1922. Le maire décrète alors
le 15 juillet que les sections industrielles et commerciales
de l'Ecole Primaire Supérieure (E.P.S.) existant à
Bourges pour les jeunes filles ont déja été
transformées en Ecole Pratique, c'est donc un "acheminement
vers une nouvelle orientation". La question des types d'enseignement
est posée, si sur le plan industriel et commercial, il
n'y a aucun problème, pour l'enseignement agricole, lequel
dépend du ministre de l'Agriculture, rien n'est acquis.
Pour Henri Laudier :
"Nous aurions une Ecole Professionnelle de jeunes filles
qui comprendrait une section d'enseignement général...
En somme cela se passerait comme à Vierzon, avec un internat,
la question du local sera à examiner. On songe à
l'immeuble du Petit Séminaire Saint Célestin, offert
par le Département à l'Etat".
Comme souvent, les aspects financiers vont
perturber l'installation rapide de la première école
de ce type en France. En 1925, Laudier, dans son examen de la
situation municipale à la veille des élections,
signale que "l'accord est absolument complet entre la Ville,
le Département et l'Etat ; si il n'y avait pas eu un retard
dans le vote du budget, les travaux seraient commencés...".
Le coût prévu pour les frais d'installation sont
de 2 millions de francs dont 600 000 francs correspondant à
la participation de la ville. Tout va donc pour le mieux dans
le meilleur des mondes berruyers, lorsque se produit un véritable
coup de théâtre au mois d'août 1926.
Henri Laudier, l'air grave et solennel, ouvre la séance
du conseil municipal le 28 août 1926 par ces mots :
" Contre tout bon sens, et à l'encontre de
tous nos espoirs, le Conseil Général vient de décider
le transfert de l'Asile d'incurables à Saint Célestin,
nous privant ainsi de réaliser immédiatement la
création de l'Ecole Nationale professionnelle de jeunes
filles, décidée par la loi de finance du 13 juillet
1925".
Il poursuit par des explications précises
:
"Cette décision que rien ne laissait prévoir,
après cinq années de laborieux efforts en commun,
retentira douloureusement au coeur des Berruyers. Et cependant
nous pouvons nous rendre cette justice que nous n'avons ménagé
ni notre temps, ni notre peine, ni les deniers de la Ville pour
arriver à concilier des intérêts qui n'avaient
rien de forcément inconciliables, puisque pendant cinq
ans, le Conseil Général et le Conseil Municipal
avaient parfaitement marché unis dans cette question".
Et c'est le bras de fer entre les deux
institutions. Le maire reconnaît que la position du ministre
des Finances vis à vis de l'Assemblée Départementale
sur les modalités de remboursement dans les travaux d'appropriation
n'a pas été sans influence sur la décision
prise, mais en fait, par cette décision, c'est le refus
de toute marche en avant. Les mots dépassent parfois la
pensée, lorsque Laudier évoque les vieillards incurables
qui seront logés princièrement dans un bel immeuble
alors que la jeunesse studieuse se trouve sacrifiée.
C'est ensuite le rappel de ce que devait être une grande
école, avec trois à quatre cents pensionnaires,
venant de tout le département, et Bourges, cité
"déshéritée" en a bien besoin.
Sur les aspects financiers, la ville de Bourges récuse
les bonnes raisons avancées par le Département
en faisant valoir que la ville a accepté de donner 510
000 francs au Conseil Général, en provenance du
Pari Mutuel.... qui, à l'époque servait à
construire des écoles !
C'est la guerre dans le département
entre les différentes instances. On parle d'une démonstration
d'hostilité de la part des conseillers généraux,
et le maire réfute un à un les arguments de ses
opposants du Cher. Il parle du faible coût de l'entretien,
de la solution pour les incurables, et enfin de la gestion très
légère du département.
Devant l'émoi des milieux politiques, la population ne
semblant pas avoir manifesté beaucoup d'intérêt
dans cette querelle, même si la délibération
du conseil municipal en la matière est portée à
la connaissance du public par affichage, les démarches
de Laudier vont reprendre.
A la fin de l'année 1926, l'accord
intervient à nouveau avec le département. En fait,
la Ville s'engageait à payer la différence entre
la somme réclamée par le Département : 876
000 francs et celle remboursée par l'Etat : 636 000 francs
soit 240 000 francs. De plus, la Ville abandonnait ses droits
sur la caserne Vieil-Castel, dans le cas où le département
déciderait d'y installer son Asile d'incurables ; et enfin,
ne reculant devant rien pour "son école", Laudier
acceptera d'aider financièrement le département
dans le cas où il désirerait construire un nouvel
Asile au Lautier. Ainsi, la crise était-elle terminée
au début de 1927 et les travaux pouvaient commencer rue
de Dun. Laudier avait dans cette affaire fait preuve de beaucoup
de pugnacité, mais il avait accepté les conditions
posées par le Département.
C'est ainsi que Bourges possèdera à la rentrée
d'octobre 1929 la première Ecole Professionnelle de la
rue de Dun, pour Jeunes Filles ; aujourd'hui, cet Etablissement
est devenu le lycée Jacques Coeur ; il forme toujours
des milliers d'étudiants dans l'enseignement général,
mais aussi et surtout professionnnel.
Parmi les professeurs qui officieront dans cette école,
figure Simone Weil. Cette grande philosophe, disciple d'Alain
eut une vie peu ordinaire. Agrégée de philosophie,
elle entre comme ouvrière chez Renault... avant de participer
à la guerre d'Espagne dans les brigades internationales.
Elle meurt de tuberculose pendant la guerre en 1943 après
avoir rejoint de Gaulle à Londres. L'ensemble de son oeuvre
ne sera publié qu'après-guerre.
Bulletin Municipal Officiel de 1922 à
1926
LE PLAN D'AMENAGEMENT DE BOURGES
Après la guerre de 1914, le gouvernement
imposa à toutes les communes de plus de 10 000 habitants
de réaliser un projet d'aménagement, d'embellissement
et d'extension, sans toutefois toucher aux plans relatifs à
l'alignement et au nivellement. Cette loi du 14 mars 1919 sera
modifiée le 19 juillet 1924, et Bourges commencera à
l'établir à partir de 1925.
Sur un plan général, le maire va s'adresser ainsi
à ses collègues du conseil municipal :
"Le projet devra être conçu en fonction de
l'importance de la population et de sa répartition, telles
qu'on peut les escompter avec plus de probabilité, grâce
à l'observation de l'évolution déjà
accomplie, à l'analyse de la situation actuelle et des
données qu'on peut avoir sur les facteurs de l'extension
future".
Il s'agit donc d'un véritable Plan Directeur, pour reprendre
un vocabulaire actuel, et la ville de Bourges, pendant un demi-siècle
utilisera ce document mis au point par l'administration Laudier.
Ce dernier ajoutera lors de la séance de présentation
:
" Le projet a encore et surtout
pour but d'éviter pour l'avenir des tâtonnements,
des modifications ne tenant pas compte des besoins du lendemain,
des initiatives qui, sous la pression de l'opinion du moment,
seraient de nature à compromettre la vitalité de
la cité, qui, d'ailleurs, a déjà trop souffert
de l'exécution incomplète de projets seulement
ébauchés et réduits à néant
par de nouveaux administrateurs".
Une vision d'un grand modernisme.
Certains, aujourd'hui font remarquer à titre d'exemple
que l'opération immobilière Avaricum qui sera réalisée
dans les années 1950 était dans les projets de
Laudier, tout comme l'idée de l'aménagement du
Parc Saint-Paul.
L'étude et la confection du projet
seront confiées à Monsieur Payrer-Dortail, pour
un prix de 43 350 francs. Le premier reproche des membres des
commissions qui auront à l'examiner portera sur l'ampleur
du projet. Le développement de la ville est vu dans le
futur, d'une manière globale et très ambitieuse,
ce qui est assez rare en Berry. Laudier souligne que l'on a toujours
"vu trop petit", et cette fois, il regrette qu'il lui
soit reproché de "voir trop grand".
La lecture du règlement est assez administrative ; on
trouve un programme en deux points :
La règlementation générale d'aménagement
Les prévisions d'alimentation en eau potable et d'assainissement.
Sont traitées les zones d'habitations collectives "limitées
à l'agglomération ancienne, au voisinage de la
Gare et aux terrains en bordure des artères principales
de circulation. Cette zone est définie par une teinte
rouge au plan d'aménagement du 5 000e (pièce n°
2)", puis des renseignements plus techniques suivent, comme
la hauteur des constructions, les voies privées, les saillies.
Les zones résidentielles font l'objet des articles 18
à 25, ils concernent les clauses d'alignement des propriétés
bâties, la surface de la construction par rapport à
la surface du terrain, ainsi que les notions de propreté
et "d'aspect agréable" des bâtisses. Il
est inscrit que "les panneaux-réclames sont prohibés.
Ne sont autorisées que les enseignes signalant les commerces
exercés dans l'immeuble".
Sur le plan industriel, "sont interdites
la création ou l'extension de tous les établissements
dangereux, insalubres ou incommodes, classés en 1re et
2e catégories". Des zones pour l'industrie sont définies,
comme le territoire entre le canal et la route de Marmagne, à
l'ouest du Chemin de fer Economique ; ou celle comprise entre
le canal et "la route de Figeac au Sud des usines de Mazières".
Elles sont en teinte violette sur le plan d'aménagement.
Dans l'article 28, les notions de protection contre les fumées,
les mauvaises odeurs, ou les poussières sont évoquées,
et l'emploi d'appareils est recommandé.
Dans le titre III, le plan décrit les servitudes hygiéniques,
archéologiques et scientifiques de la ville de Bourges
:
"L'aspect extérieur des bâtiments devra être
conçu dans son style, sa forme, ses matériaux et
sa couleur, de façon à ne pas rompre l'harmonie
des perspectives urbaines".
Parmi les divers aspects liés au développement
de Bourges, il faut souligner le "dégagement de la
Cathédrale", une idée qui remontait tout de
même à 1852 ..... Au fil des lignes, on voit, par
exemple, la suppression du passage à niveau de Saint Privé
; il faudra attendre un demi-siècle pour que cela se réalise,
devant le septicisme de plusieurs élus, Laudier répliquera
: "....Dans vingt ans, ou davantage, peu importe, cette
suppression ne deviendra-t-elle pas inéluctable ?"
Les problèmes de l'eau potable,
puis des eaux pluviales et usées sont pris en considération
dans les titres IV et V comprenant la seconde partie de ce document
important.
Le projet d'aménagement sera finalement accepté
par un décret du Président de la République
signé à Rambouillet le 6 septembre 1932 : Bourges
entrait dans l'ère moderne.
L'ECONOMIE BERRUYERE
L'économie de Bourges et du Cher
traverse entre 1926 et 1929 une période de relative prospérité.
Les difficultés ne vont commencer qu'à partir de
1930 et s'accroître vers 1932 avec la crise générale
et la fermeture de nombreux marchés mondiaux. Les raisons
spécifiques au Berry sont dans les produits fabriqués
: la porcelaine et la petite industrie manufacturière
ne peuvent plus s'exporter aisément. De plus, les structures
industrielles existantes sont d'essence familiale et les investissements
en hommes et en matériel sont insuffisants.
Le commerce local voit son développement dans le Centre
Ville de Bourges avec de nombreuses interrogations. Les hôtels
de la rue Moyenne font place progressivement à des magasins,
petits ou grands ; c'est à nouveau le coeur de Bourges.
Avec ce commerce, les banques se donnent
de l'air. La plus illustre du Berry, la Banque Hervet prend le
statut de Société Anonyme en 1930. Son patron,
Henri Hervet, entre une cérémonie à la mémoire
de Mermoz disparu et un déplacement à Paris, devient
un très grand gestionnaire dans le domaine financier.
Henri Hervet est le second des fils du philanthrope et banquier
: Albert Hervet. Cette banque fut créée vers 1830
par Domont, lequel la transmet à Grenouillet avant que
Bureau en 1859 en devienne le patron.
M. Bureau dont l'établissement commence
à bien s'implanter en Berry y fait entrer son neveu Albert
Hervet en 1882. A partir de cet instant, la banque devient celle
d'Albert Hervet et elle prend son envol régional. A la
mort de ce dernier, qui aura eu d'importantes fonctions locales,
c'est le fils aîné qui devait lui succéder,
c'est à dire Georges, une tradition dans le milieu des
affaires. Le sort ne voudra pas de cette solution et Georges
meurt en 1918 de la grippe espagnole. La banque échoit
alors à Henri, le cadet ....qui ne demandait rien! Il
était tout le contraire d'un banquier, comme l'écrit
Jean Dutour dans une plaquette consacrée à la dynastie
Hervet. Henri, c'est en premier lieu un aviateur ; héros
de la Grande Guerre, il volera dans l'escadrille de Guynemer.
Puis c'est un artiste, il veut devenir comédien ou, à
la rigueur journaliste. Il ne sera ni l'un, ni l'autre : tradition
familiale oblige, en 1919, il devient Directeur de la banque
de feu son père. A sa mort en 1971, Henri Hervet aura
fait de sa banque une des plus puissantes de la région.
Henri Hervet
C'est à cette époque dans le cadre de l'embellissement
de Bourges qu'un Berruyer anonyme soumet au conseil municipal
et à la population par la presse locale, un projet de
Place Centrale. Ce type de projet fut une "constante"
à Bourges sans doute depuis le Moyen-Âge. Il s'agissait,
en 1929, de saisir l'opportunité de la destruction des
Nouvelles Galeries pour créer une "splendide Place
Centrale", qui irait du Palais Jacques Coeur à la
Cathédrale. Une vue de l'esprit pour la plupart des Berruyers,
un coût de plusieurs millions pour en venir à bout
d'après les commissions des finances de la Ville. Laudier
parlera de ce projet qui aurait dû pourtant le séduire
par des mots de rejet :
" D'abord, le propriétaire de l'emplacement des Nouvelles
Galeries désire reconstruire ses magasins le plus rapidement
possible.... puis il faudrait acquérir un certain nombre
d'immeubles, dont les vestiges de l'église Saint Aoustrillet
et instance de classement.... enfin on arriverait à une
place assez biscornue qui n'aurait pour issue que l'emmarchement
du Théâtre....
Pour toutes ces raisons, mais surtout parce que les avantages
de la place à créer sont loin d'être en proportion
des dépenses à envisager, et que la Ville est engagée
sur d'autres projets à intérêt primordial,
nous ne croyons pas que cette suggestion puisse être retenue".
Ce jour-là, Laudier le visionnaire
ne verra pas très clair, ni ses successeurs non plus jusqu'à
la fin du siècle. Il rappelle qu'en 1863, un tel projet
eut été possible, mais 65 ans plus tard c'est un
leurre, même si la nécessité d'avoir une
grande Place Centrale est un objectif à moyen terme.
SPORT ET MUSIQUE
Les années 1920 à Bourges,
c'est le paradis du Rugby dans le domaine sportif. Ainsi, la
Dépêche du Berry commence à multiplier ses
colonnes consacrées aux matchs du week-end. En octobre
1928, les Berruyers reçoivent l'équipe prestigieuse
de Périgueux. Les titres des quotidiens sont éloquents
: "le match de l'U.S. Berry contre le C.A. Périgourdin
a été une magnifique démonstration de vrai
et beau Rugby" et en petit caractère, le score figure
sans appel : "L'U.S. Berry a été battue par
35 points à 3". A l'issue du match, la troisième
mi-temps se déroula au Café des Beaux-Arts, et
le discours du Vice-Président de l'U.S.B., M. Adam, eut
des paroles élogieuses avec la référence
à Yves Du Manoir, le regretté aviateur-rugbyman,
mort au dessus du Berry, un dimanche où il était
consigné sur la base d'Avord.
Le football ne semble pas avoir la même
aura dans le monde sportif local. On note des petites équipes,
dont le Patronage Saint-François qui se fait battre par
une autre équipe berruyère.
Le spectacle à Bourges peut être grandiose. C'est
ainsi que le 2 octobre 1928, le plus grand cirque du monde ouvre
ses portes au public : il s'agit du cirque Buffalo-Bill. Compte
tenu de ses trois pistes et de ses quatre mâts, il doit
s'installer sur l'Ancien Champ-de-Foire. Plus d'une cinquantaine
d'attractions sont présentées, c'est à dire
trois spectacles à la fois.et la présence "du
Capitaine Buffalo-Bill, qui invite le public à visiter
son village de toile composé de cinq établissements,
une véritable armée cosmopolite et une organisation
impeccable".
Plus modestement, le Théâtre
de Bourges présente une pièce dans le cadre ....
des tournées Baret. En 1929, le plus grand succès
du Théâtre parisien de l'Athénée est
en terre berruyère pour l'interprétation de "Ma
soeur et moi", du théâtre de boulevard, interprété
par Mlle Maryse de Brandt, "dont on se rappelle le succès
dans Nicole et sa vertu".
Au cinéma de l'Alhambra, c'est l'oeuvre de Zola qui fait
fureur. On joue Thérèse Raquin de Gina Manès,
et la publicité indique que le film est joué "au
Prix ordinaire des places".
Quelques jours plus tard, Laudier recevra
une lettre de félicitation signée du Maréchal
Lyautey, ce dernier insistant sur "Bourges qui servira d'exemple,
en montrant la voie à suivre à celles de nos régions
françaises qui tardent encore à s'intéresser
au développement de notre aviation commerciale".
Ainsi, en ce milieu d'année 1928, c'est l'euphorie à
Bourges ; elle sera de courte durée, un gigantesque incendie
va endommager la ville, et ramener les autorités à
des préoccupations plus terre-à-terre.
"De Hanriot à
L'Aérospatiale" de Roland Narboux
LES
NOUVELLES GALERIES FLAMBENT cliquer sur les incendies de Bourges
L'AVENTURE DES PRES-FICHAUX
Pour Laudier et la municipalité,
l'aménagement des Prés-Fichaux est une priorité.
Il s'agissait d'améliorer l'entrée dans la ville
de Bourges, et d'éliminer un terrain fait de marécages
nauséabonds. Jusqu'à la fin des travaux, et pendant
une dizaine d'années, Laudier subira la réprobation
de ses concitoyens sur " les dépenses somptuaires
considérables qui ne s'accordent pas avec les ressources,
si précaires de la ville, qu'elle doit laisser en souffrance
des travaux urgents.... " c'est le ton d'une protestation
du mois de mai 1921 signée par 21 personnes et envoyée
à Laudier.
C'est un an après son élection
que Laudier commence à parler de ce jardin. Le Bulletin
Municipal Officiel signale le fait dans la séance du 23
octobre 1920, en considérant que le terrain dit "Marais
des Prés-Fichaux" est insalubre, que "l'étendue
des jardins qui sont cultivés sur ce point ne présente
pas un intérêt tel que leur maintien est indispensable
à l'heure actuelle", mais l'argument majeur, c'est
que la nature du sous-sol ne permet aucune construction.
La lutte pour imposer ce jardin ne va pas être de tout
repos. Il faut reconnaître que le Maire comptait sur la
notion "d'hygiène publique", mais plusieurs
enquêtes sur le sujet démontrèrent aussi
que le caractère d'utilité publique n'était
pas évident, et enfin que les Prés-Fichaux étaient
"occupés depuis des temps immémoriaux par
des jardins ouvriers parfaitement entretenus".
Il y a dès le début de l'opération, un doute
énorme sur l'utilité de ces travaux. Aussi Laudier
se jette-t-il dans le combat pour son jardin et le 14 mai 1921,
après lecture des protestations et de l'enquête
Commodo et Incommodo, le conseil municipal maintient les termes
de sa délibération du 19 février 1921 et
"demande que la déclaration d'utilité publique
du projet soit prononcée, et charge le citoyen maire de
toutes démarches utiles".
L'Avant-Projet qui a reçu un avis
favorable de la Commission du Vieux-Bourges est présenté
à l'ensemble des conseillers municipaux en janvier 1923.
Le jardin se présente alors avec une grande pelouse, une
roseraie, un théâtre de verdure et de nombreux massifs.
C'est l'image du jardin tel que nous l'admirons aujourd'hui,
en cette fin de XXe siècle. Il faut dire que les "Avant-Avant
Projets" étaient sensiblement différents.
Dans les Archives Départementales du Cher, figure un plan
qui est daté du 1er avril 1920 ; il est signé Paul
Margueritat, mais il comprend essentiellement un immense jardin
"à l'anglaise", fait de grands arbres et de
taillis. L'Avant Projet qu'Henri Laudier défend en janvier
1923 est aussi de Paul Margueritat, mais c'est un "jardin
à la française". Sur le plan de l'esthétique,
il y a unanimité, ou presque. C'est sur les moyens techniques
et financiers que les Berruyers vont se diviser.
Paul Margueritat
caricature de Marie France Narboux
Laudier veut séparer l'opération
en deux phases très distinctes. Une première pour
les travaux d'infrastructure : c'est l'aménagement et
l'assainissement du terrain. Pour le financement, il sera possible
"d'obtenir une subvention sur le produit des jeux, que nous
nous efforcerons d'obtenir la plus élevée possible".
Puis le principe de laisser passer un hiver à l'issue
de cette première phase est acquis, cela permettra d'obtenir
le tassement du terrain aménagé. La seconde phase
sera consacrée aux travaux d'infrastructure, aux plantations,
au théâtre de verdure, à l'éclairage...
etc et l'opération s'étendra sur les deux exercices
de 1923-1924.
A l'issue de cette discussion très technique, le citoyen
Griffet s'inquiète de la présence possible des
moustiques, étant donnée la nature du terrain.
Il ajoute : "il serait regrettable d'avoir un jardin où
personne ne pourrait aller".
Au mois de novembre 1924, dans plusieurs magasins de la rue Moyenne,
les premières esquisses de Paul Margueritat avaient été
exposées ; elles comprenaient un plan d'ensemble, ainsi
que différentes vues panoramiques. Quelques détails
techniques étaient présentés, la terrasse
sera supportée par quatre puits de béton descendus
à quatre mètres de profondeur.
La construction de ce jardin, entre le premier projet et l'inauguration,
représentera 10 années de lutte et de travail.
Ainsi plusieurs ouvrages de maçonnerie, exécutés
en octobre et novembre 1928, devront être refaits ; ils
avaient été endommagés par le gel. Et la
liste des "travaux imprévus" va s'allonger au
cours des dernières années de finition. Il n'y
aura pas de réunion du conseil municipal sans que le sujet
du "Parc des Prés-Fichaux" ne soit abordé.
La séance du conseil municipal de
Bourges du début de l'année 1930 est assez significative
de cette "aventure des Prés-Fichaux". Laudier
commence à demander un nouveau crédit de 200 000
francs pour le jardin plus 160 000 francs concernant la voierie
pour les accès, soit un total de 360 000 francs. Il argumente
sur le fait qu'il s'agit de la dernière tranche de "l'aménagement
du parc public dans les marais des Prés-Fichaux".
Et comme il s'attend à des réactions de la part
de ses collègues, il ajoute avec une précaution
toute berrichonne :
"J'ai fait préparer le décompte général
de toutes les sommes, de tous les prétendus millions que
nous aurions engloutis dans les Prés-Fichaux, à
en croire certaines légendes". Et le premier magistrat
de la cité de récapituler toutes les dépenses
de 1922, avec 18 150 francs, jusqu'à l'année 1929
pour 201 169 francs .... en terminant par les 360 000 francs
demandés ce jour. Le total est de 1 808 926,30 francs,
et la subvention obtenue sur le produit des jeux a été
de 300 000 francs. Il termine son propos par ce justificatif
de son action :
" On peut nous reprocher d'avoir mis longtemps pour l'exécuter.
Il est peut-être préférable de l'avoir exécuté
par petits coups et échelonné sur plusieurs exercices,
cela nous a permis de trouver la pilule moins amère. Nous
sommes arrivés à nos fins et nous n'avons pas fait
les dépenses voluptuaires excessives qu'on prétend."
Aussitôt après ces paroles,
le conseiller municipal Maurice Boin s'exprime, il n'est pas
d'accord avec les crédits demandés par son maire,
mais il les votera tout de même, car "tout travail
commencé doit être terminé." Et puis,
il développe une argumentation sur les choix en matière
de dépense. Ainsi, par rapport aux prêts de 2 millions
du coût des Prés-Fichaux, il signale que "les
toits des écoles sont transformés en écumoir,
que les bouches d'égoûts sont dans un état
lamentable, et la réfection totale ne coûterait
que 100 000 francs". Boin poursuit avec les primes de natalité
qui ne dépassent pas 3000 francs par an ; il souhaite
que l'on achève rapidement le jardin en cause et que "nos
efforts s'orientent vers des tâches plus utiles".
Laudier répondra de manière précise à
l'argumentation, demandant à Boin de formuler des critiques
de manière plus positive. Il se défend en évoquant
qu'avec la construction du jardin " nous avons fait travailler
de nombreux sans travail, des chômeurs : tous ces vieux
que nous avons occupés, il aurait fallu leur donner des
indemnités de chômage... Nous avons fait oeuvre
sociale et oeuvre utile".
Et les 360 000 francs demandés par Laudier sont votés,
les Prés-Fichaux vont pouvoir se terminer, et le Maire
espère que ses concitoyens apprécieront l'oeuvre
ainsi réalisée.
Bulletin Municipal Officiel 1922 (sur séance
de 1920)
Bulletin Municipal Officiel BY P11 1930
Les Sculptures de Bourges Roland Narboux
LAUDIER ET LES MANDATS ELECTORAUX
Sur le plan politique, après la
défaite électorale aux Législatives de 1924,
Laudier se représente à celles de 1928, qui se
déroulent les 22 et 29 avril. Le scrutin est à
deux tours, par circonscription, et le maire de Bourges se présente
dans la première circonscription de Bourges. Il est opposé
au Républicain Autrand, au Communiste Maurice Boin, au
Radical Mauger et enfin à un candidat marginal, Jacquet.
Dans sa propagande électorale, Laudier revient sur la
défaite et le scrutin proportionnel de 1924, il écrit
: " Pour la 5e fois désigné comme candidat
par la confiance d'un parti auquel je suis demeuré fidèle
en dépit de tout, je viens à nouveau solliciter
vos suffrages".
La profession de foi du candidat socialiste
est des plus pragmatique ; il se livre à un catalogue
de ses réalisations depuis qu'il est maire de Bourges
:
"Vous savez qui je suis, Républicain,
socialiste, libre-penseur, respectueux de toutes les opinions
et de toutes les croyances.
J'ai bataillé de toutes mes forces pour l'industrialisation
de nos Etablissements Militaires, et le maintien de l'Ecole d'Aviation
d'Avord, un moment menacée. J'ai amené la création
de la première Ecole Nationale Professionnelle de Jeunes
Filles de France, qui va aboutir après 7 années
d'efforts. J'ai créé la Foire de Bourges, de même
l'Aéroport, qui sera demain une chose réalisée
et qui peut être gros de conséquences heureuses
pour toute notre région".
Sa campagne électorale est active,
il doit se démarquer des communistes, tout en restant
dans une ligne très à gauche. Son degré
d'action et de liberté n'est pas très simple à
gérer. Pour lui, "il faut faire payer la fortune
acquise, soulager le commerce et la production, mettre un terme
à cette inquisition fiscale féroce qui irrite,
à juste titre, tous les assujettis".
Son discours peut être moins précis
et plus conventionnel, c'est par exemple le vocabulaire et le
ton de ses affiches dans lesquelles il écrit :
" Fort de mon passé sans tache et de mes ardentes
convictions socialistes, mais vous ayant donné la preuve
que je sais réaliser... Vive la République Sociale".
Comme Député, car il s'agit tout de même
d'une élection législative, Laudier rappelle son
travail au Palais Bourbon. Il signale qu'il fut membre de la
commission du commerce et de l'industrie, ainsi que de celle
des armées. Dans ce cadre, il a participé au projet
de loi sur l'imposition des officiers à la contribution
mobilière. C'est lui qui a obtenu l'ouverture d'un crédit
pour le Cher suite aux inondations de 1923.... D'une manière
plus anecdotique, il a fait des observations concernant la restitution
à la Cathédrale de Bourges de ses vitraux. Et puis
il revient sur son action municipale et insiste sur l'Ecole Nationale
Professionnelle de Jeunes Filles, car il est persuadé
que les électeurs voient en lui un bon administrateur
de la cité qui a besoin d'avoir des relations avec le
pouvoir central, et en conséquence un mandat national.
La campagne électorale est difficile ; au cours d'une
réunion publique et contradictoire qui réunit 5000
personnes, les journalistes écrivent que Boin et Autrand
ont la faveur du public. De leur côté, les services
de la Préfecture signalent que "Laudier a tenu à
la tribune, malgré les protestations nombreuses de ses
adversaires personnels qu'il s'est créé à
la mairie, et malgré les clameurs communistes".
Dans les Archives Départementales,
se trouve une note marquée "SECRET", en date
du 16 mai 1928. Elle émane du Président du Conseil,
et est destinée au Préfet du Cher. Il est dit,
en particulier : "que certains fonctionnaires ont développé
une campagne plus ou moins violente contre les pouvoirs publics
et ont exercé des vexations envers les contribuables dans
un intérêt politique.
Vous voudrez bien m'adresser de toute urgence, un rapport sur
les faits de cette nature dans votre département".
La réponse du Préfet du Cher
sera tout aussi secrète : elle dénonce "deux
instituteurs qui avaient soutenu le candidat communiste"
et d'ajouter : "une enquête est ouverte". Ainsi,
il était périlleux en 1928 d'être instituteur
et communiste.....